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Confession d'un pédéraste (les 4 amours) par Ambroise Tardieu (1873)

Publié le par Jean-Yves Alt

C'est Ambroise Tardieu, professeur de médecine légale à la Faculté de Médecine de Paris, qui a donné le texte de cette confession d'un antiphysique dans sa célèbre Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs (1) :

Il est un dernier point sur lequel il faut insister comme sur une terrible conséquence de la prostitution pédéraste ; c'est le danger auquel elle expose ceux qui en recherchent les ignominieux plaisirs, et qui ont trop souvent payé de leur vie les relations honteuses qu'ils avaient nouées avec des criminels. Les exemples d'assassinats sur des pédérastes ne sont pas très rares ; et les circonstances dans lesquelles ils se produisent ont cela de caractéristique que la victime va d'elle-même en quelque sorte au-devant du meurtrier. Pour ne citer que les crimes qui ont ému Paris, les assassinats de Tessié en 1838, de Ward en 1844, de Benoît et de Bérard en 1856, de Bivel et de Letellier en 1857, auxquels il faut ajouter celui de l'enfant Saurel par Castex et Ternon en 1866, ont révélé avec éclat la fin cruelle à laquelle peuvent être réservés ceux qui ne peuvent trouver que dans l'écume du monde le plus vil ces liaisons inavouées auxquelles ils vont demander la satisfaction de leurs monstrueux désirs.

Un cas plus récent a montré à un autre point de vue qu'une mort violente pouvait atteindre les pédérastes dans des circonstances accidentelles ou dans des rixes provoquées par leurs relations coupables. En 1861, on trouvait dans le vestibule d'une maison de Paris le cadavre d'un pédéraste bien connu, qui au milieu de la nuit était tombé ou avait été précipité par-dessus la rampe d'un escalier.

Je ne prétends pas faire comprendre ce qui est incompréhensible et pénétrer les causes de la pédérastie. Il est cependant permis de se demander s'il y a autre chose dans ce vice qu'une perversion morale, qu'une des formes de la « Psychopathia Sexualis », dont Kaan a tracé l'histoire. La débauche effrénée, la sensualité blasée peuvent seules expliquer les habitudes de pédérastie chez des hommes mariés, chez des pères de famille, et concilier avec le goût des femmes ces entraînements contre nature. On peut s'en faire une idée en retrouvant dans les récits des pédérastes l'expression de leurs passions dépravées.

Casper a eu entre les mains un journal dont je lui emprunterai un extrait, dans lequel un gentilhomme de vieille race, adonné à la pédérastie, a consigné jour par jour, et pendant plusieurs années, ses aventures, ses passions et ses sentiments. Il avouait avec un cynisme sans exemple des habitudes honteuses qui remontaient à plus de trente années, et qui avaient succédé chez lui à un vif amour de l'autre sexe. Il avait été initié à ces nouveaux plaisirs par une entremetteuse; et la peinture de ses sentiments a quelque chose de saisissant. La plume se refuse à retracer les orgies décrites dans ce journal et à répéter les noms qu'il prodigua à ses amants. Des dessins, qui illustrent cette pièce singulière, ajoutent encore à ce qu'elle offre d'étrange.

J'ai eu d'un autre côté l'occasion fréquente de lire la correspondance de pédérastes avoués, et j'ai trouvé, sous les formes de langage les plus passionnées, des épithètes et des images empruntées aux plus ardents transports du véritable amour.

J'en peux donner un exemple qui ne sera pas le document le moins curieux de l'étude que j'ai entreprise. Je cite textuellement cette pièce qui a pour titre : MA CONFESSION, et qui a été recueillie dans un grave procès de chantage au commencement de l'année 1845 :

« 1er amour. — Le premier que j'ai aimé, oh! comment expliquer comment je l'ai aimé ! Comment dire le délicieux frémissement de mes sens lorsque j'entendais sa voix et le bonheur que j'éprouvais à épier son regard, et les tendres soins que je prenais à faire naître un sourire sur ses lèvres ! Et cependant, je dois en convenir, c'était le premier être qui faisait palpiter mon cœur tous les jours, qui parait mes rêves d'images toujours riantes, qui m'ouvrait une vie toute nouvelle, et dès lors je ne compris plus de bonheurs qui ne fussent pas lui, de sentiments qui ne fussent pour lui, de devoirs que je ne sacrifiasse à lui. Chacun de ses mots venait vibrer par tout moi comme une tendre mélodie ; son regard, souriant ou paisible, semblait se refléter en douces joies au fond de mon cœur, je comprenais que c'était ainsi que devait être la volupté des anges.

Aussi, près de lui, je sentais pâlir tous les sentiments de la vie. Qu'étaient-ce maintenant pour moi que des préjugés imposés par les lois ou par l'habitude ! Qu'étaient-ce alors que les plaisirs de la société, les triomphes de l'amour-propre ! Que de fois pour rester près de lui je fuyais mes amis d'enfance. Oh ! pour lui que n'eussé-je point fait sur la terre ! Que n'ai-je point demandé au ciel, et quelle affection rivale aurait pu parvenir à mon âme !

2e amour. — Faut-il le dire pourtant ?... Trois années de cette première ivresse étaient à peine finies, qu'un autre sentiment vint envahir mon cœur. Nulle puissance ne put s'opposer à l'intérêt que m'inspira un être qui n'avait pas sur moi les droits du souvenir, mais dont le front candide éveillait en moi mille charmantes espérances. Il avait de grands yeux bleus, dans lesquels j'aimais à puiser la tendresse ; et lorsque sa tête s'appuyait sur mon épaule, lorsque sur ses lèvres venait errer mon nom, comme le premier accord de notre franche amitié, je me disais : là aussi sera pour moi le bonheur d'être aimé !

3e amour. — Comment à quelque temps de là se trouva près de moi un gentil garçon, au teint pâle, aux yeux noirs, je n'ose vraiment vous le dire.... Toutefois, puisque ma plume veut se vouer à la vérité, et que mon cœur ici doit trahir tous ses secrets, j'avouerai que cette nouvelle passion ne fut pas seulement un de ces épisodes piquants qui passent dans la vie d'un homme, comme ces étoiles éphémères, qui glissent à travers le ciel sans en déranger l'harmonie. Mon jeune amour vint prendre sa part aimante dans mon âme ; et pour l'y fixer, je lui prodiguai mes plus intimes caresses. J'aimai à suivre le développement de ses premiers sens, à rapporter à moi seul tous les efforts de sa sensibilité. Je ne dus point résister au nouveau qui s'offrait, j'en devins fou.

4e amour. — Oh ! si je pouvais environner de mystère ce qui me reste à vous dire, si je pouvais celer au fond de mon âme cette dernière faiblesse de la nature, je m'arrêterais à ce nombre mystique de mes premiers amours. Mais, hélas ! les destinées sont grandes, inexplicables ; et je dus malgré moi finir par adorer un enfant, tombé, je crois, de la voûte éthérée. Beau comme les chérubins qui soutiennent le voile sur le front de la Vierge, sa bouche toute petite avait un de ces sourires qui durent faire faillir Ève, si ce fut ainsi que le diable la prit ; dans ses yeux était une volupté d'innocence qui faisait tout espérer et tout pardonner. Aimable et gracieux, soumis à vos caprices, prévenant vos désirs, il vous couvrait de doux regards et de caresses charmantes; il ne fallait pas le voir, ou il fallait l'aimer... et voilà pourquoi je l'aimai.

Et cependant, si vous voulez comprendre, si vous voulez savoir comment je les aime tous, comment ils m'aiment, et comment nous vivons, soulevez le rideau qui ombre ce tableau... C'est un de ces mystères incompréhensibles que la nature seule révèle. »

Il est des cas dans lesquels il est difficile de ne pas admettre chez les pédérastes une véritable perversion maladive des facultés morales. A voir la dégradation profonde, la révoltante saleté des individus que recherchent et qu'admettent près d'eux des hommes en apparence distingués par l'éducation et par la fortune, on serait le plus souvent tenté de croire que leurs sens et leur raison sont altérés; mais on n'en peut guère douter, lorsqu'on recueille des faits tels que ceux que je tiens d'un magistrat qui a apporté autant d'habileté que d'énergie dans la poursuite des pédérastes, M. le conseiller C. Busserolles, et que je ne peux taire. Un de ces hommes descendus d'une position élevée au dernier degré de la dépravation attirait chez lui de sordides enfants des rues devant lesquels il s'agenouillait, dont il baisait les pieds avec une soumission passionnée avant de leur demander de plus infâmes jouissances. Un autre trouvait une volupté singulière à se faire donner par derrière de violents coups de pied par un être de la plus vile espèce. Quelle idée se faire de pareilles horreurs, sinon de les imputer à la plus triste et à la plus honteuse folie ?

in Le Crapouillot n°30, « Les Homosexuels », août 1955, p. 14


(1) Ambroise Tardieu, Étude médico-légale sur les attentats aux mœurs, Paris, Éditeur J.-B. Baillière, 6e édition, 1873

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