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Comparer pour apprécier : Titien, Calcar, Bordone

Publié le par Jean-Yves Alt

Une œuvre étudiée isolément suggère moins de réflexions, à moins de disposer déjà d'un système de références, grâce à des souvenirs nombreux et précis.

C'est pourquoi la confrontation de quelques tableaux constitue la meilleure méthode pour apprendre à discerner les particularités de leur technique, les mérites de leur exécution...

Au reste, on n'aime vraiment que ce que l'on préfère, et, pour préférer, il faut comparer.

Tiziano Vecellio (Titien) – L'homme au gant – vers 1520

Huile sur toile, 100cm x 89cm, Musée du Louvre, Paris

Sans doute, le modèle de Titien avait-il une plus forte personnalité, était-il plus passionné, plus volontaire et de plus noble allure que les deux autres personnages. Mais son portrait porte aussi la marque d'un puissant génie, qui a su lui conférer un style incomparable et rendre sensible cette virilité nonchalante qui caractérise un homme et une époque. Pour modeler cette forte image, la couleur reste neutre afin de laisser aux contrastes de valeurs toute leur vigueur. La lumière n'éclaire que l'essentiel, le visage et les mains, l'une vêtue d'un gant admirablement peint, l'autre ne présentant que les deux doigts les plus expressifs, le pouce et l'index qui marque le commandement. La blancheur de la chemise fait ressortir la carnation brune, l'œil sombre et le cheveu noir. Ce triangle de la chemise – effilé – divise la masse obscure du costume et dirige le regard vers le visage dont le menton énergique est souligné par la fine collerette. Les lignes sont simples, les moyens sobres, l'expression d'une intensité inoubliable.

Jan Stephan van Calcar, dit Giovanni Calcar – Portrait de Melchior von Brauweiler – 1540

Huile sur toile, 109cm x 88cm, Musée du Louvre, Paris

Avec Calcar, ce hollandais élève de Titien et fixé à Venise, la vision change. Il a le goût d'une couleur discrète, mais savoureuse, l'amour des belles étoffes et de leurs reflets caressants. Les habits sont, en effet, d'une qualité précieuse. Le satin des manches, savamment travaillé, constitue une délectation pour l'œil. La main gauche est habilement exécutée et l'architecture, sur laquelle s'appuie le personnage, belle. Seulement, au milieu de tant de morceaux bien réussis, l'attention se disperse un peu, le caractère du personnage représenté ne parvient pas à se marquer fortement. C'est un beau portrait de Brauweiler alors que l'homme au gant est l'effigie du jeune aristocrate de la Renaissance italienne, sans qu'il soit besoin de prononcer son nom.

Pâris Bordone – Hieronymus Kraffter, marchand d'Augsbourg – vers 1540

Huile sur toile, 107cm x 86cm, Musée du Louvre, Paris

Avec Pâris Bordone, élève et imitateur de Titien, la présentation est conçue à l'inverse de celle de Calcar. Il semble renchérir encore sur son Maître en réduisant la part des lumières et en augmentant celle de l'ombre. Sans doute, en peignant ce jeune homme placide au teint frais, le peintre a-t-il voulu mettre la tête bien en évidence. Mais les valeurs trop proches se confondent, si bien que, par exemple, la barbe ne se distingue pas nettement de la fourrure. De même, le personnage ne parvient pas à émerger du fond.

Comme il devient alors aisé de percevoir combien « l'homme au gant » a d'accent, combien la répartition des lumières y est judicieuse, combien la lingerie – simple accessoire – permet d'isoler et de faire ressortir l'essentiel…

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