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Oublier Elena, Edmund White

Publié le par Jean-Yves Alt

« Oublier Elena » n'est pas directement un roman sur l'homosexualité masculine. C'est un récit astucieux, élégant, spirituel, mais aussi empreint de la particulière cruauté des jeunes hommes fragiles et conquérants. Un roman de jeunesse sur la jeunesse.

Ce roman trouble par son univers spécifique : le monde clos de jeunes dandys, dans une île méditerranéenne où les codes d'un cérémonial très sophistiqué donnent aux personnages l'illusion d'une authentique personnalité.

Le sujet est passionnant parce que toujours actuel. Une frange de la vie (toute la vie chez certaines personnes) se perd à imiter un être vu comme exceptionnel, à copier ses tics de langage, ses impératifs vestimentaires. Âge innocent où les règles du groupe cachent les inquiétudes individuelles par le rassurant « l'habit fait le moine ».

Ici, le souci d'être branché est poussé au paroxysme, et c'est bien d'une sorte de secte qu'il est question : un groupe de jeunes hommes obsédés par le paraître qui donnent le ton à une société riche et oisive.

L'histoire se passe peut-être dans les années 60-70, et tous ceux qui n'ont pas trouvé ou ne peuvent exprimer leurs goûts sexuels se retrouvent dans une sorte de communauté que hantent des femmes et des hommes déjà mûrs, aux aguets de cette chair fraîche qui cherche ses extases.

Herbert, grand prêtre, maître de jeu, est un personnage mystérieux : il est homosexuel, sans aucun doute, mais raidi dans ce qui compense ses abandons sexuels impossibles. Il a un autoritarisme délirant que teinte un attrait certain pour le sadomasochisme psychologique.

Cette éducation sentimentale est remarquablement analysée. Le roman est une suite de tableaux où la lumière vient dessiner ces êtres nonchalants et nostalgiques qui se penchent au bord des terrasses, longent la mer, s'alanguissent dans des salons d'ombre.

Des histoires de vie où l'amour de soi conduit aux extravagances des mots d'esprit, des situations ambiguës, parce qu'on n'a pas encore appris à aimer l'autre et à s'oublier pour mieux se vivre dans le temps qui passe.

Le narrateur est justement un individu en déséquilibre, un très jeune homme qui semble se plier avec le plus de conviction aux rites d'une colonie émue par sa vulnérabilité, mais qui par la force d'un désir de vérité sera le premier à saisir l'aspect inhumain de ces fêtes de l'ennui, érigées en principes de vie.

Elena, qui lui fait découvrir l'amour sexuel, l'écarte de ces hommes ambigus qui convertissent les caresses avortées en tyrannie langagière.

C'est là que le roman trouve sa force : « Oublier Elena » peut être lu comme une métaphore du désir homosexuel refusé, la description désenchantée de ce qui « meuble » les loisirs homosexuels, la mise en jeu éternelle d'une cérémonie que rien ne peut faire chanceler : sortir, se montrer, s'habiller selon les diktats de la mode, aimer ou croire aimer ce qu'il est convenu d'aimer. Et ce, même si l'auteur n'a pas voulu aborder d'emblée l'homosexualité déclarée.

Un superbe roman de l'hésitation affective, du mirage homosexuel, du sexe qui renvoie à soi. Un roman aussi du temps futile des vacances qui est souvent le temps le plus riche en perceptions multiples et en connaissance de soi.

■ Oublier Elena, Edmund White, Editions 10/18, 1991, ISBN : 226401685X


Du même auteur : La tendresse sur la peau - Un jeune Américain - L'écharde (nouvelles avec Adam Mars-Jones) - Nocturnes pour le Roi de Naples - Le héros effarouché

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