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Quand les évêques étaient sodomites

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce pion de trictrac en ivoire de morse du XIIe siècle caricature la sexualité d'un évêque et évoque le climat de liberté homosexuelle s'épanouissant à l'époque, notamment en France, au nord de la Loire, et en Angleterre.

En témoigne la nomination à l'évêché d'Orléans en 1096 de l'archidiacre Jean, mignon du défunt évêque et du frère de celui-ci, Raoul, lui-même archevêque de Tours. L'évêque Yves de Chartres accusait :

« Il a été le mignon du défunt, le roi de France me l'a déclaré, et pas en secret mais en public, et le bruit de cette inconduite s'est tellement répandu dans tout l'évêché d'Orléans et dans les villes voisines qu'il a reçu des chanoines, ses collègues, le surnom d'une concubine fameuse, Flora. »
 

Pion de trictrac – XIIe siècle

Ivoire de morse, Musée du Louvre, Paris

Sanctionnée par la castration à l'époque mérovingienne, l'homosexualité avait resurgi ouvertement à la cour de Charlemagne. Mais ni son cartulaire de 829, recopiant le concile d'Ancyre, ni les pénitentiaires n'allèrent au-delà d'une « dure pénitence » en condamnation. Le souci de l'Église était, d'abord et avant tout, l'établissement des règles les plus strictes dans le mariage. D'où la situation paradoxale aux XIe et XIIe siècles de grande liberté homosexuelle, pratiquée chez les clercs comme chez les nobles : le roi d'Angleterre lui-même, Guillaume le Roux, fils du Conquérant, montrait l'exemple.

Ce jeton de mérelle qui représente un évêque, couronné de la mitre à deux cornes, chevauchant armé d'une hache et muni d'éperons, donne une image de la réalité des prélats, puissants seigneurs n'hésitant pas à guerroyer. Sa facture très soignée et sa matière précieuse font appartenir ce jeton à un jeu utilisé dans la haute noblesse ou aux échelons ecclésiastiques les plus élevés dans un clin d'œil amusé à sa liberté de mœurs ou à celle de sa caste.

Cet évêque sodomite est caractérisé par sa représentation : il chevauche sur le dos son partenaire et a le corps couvert d'écailles, en osmose avec le poisson-homme, sirène – symbole de luxure – dotée d'une tête masculine désignant l'orientation homosexuelle. De façon aussi peu équivoque, l'évêque tient enrênée sa monture par une écharpe partant de la bouche de la sirène masculine et s'enroulant gracieusement autour de la queue.

Lors du concile de Latran en 1215 établissant les règles du mariage laïc, l'Église préféra édicter l'interdiction du mariage des prêtres, signe de leur obligation de « chasteté », pour s'appuyer sur la très solide misogynie des clercs homosexuels qui écrivaient dans le Débat entre Ganymède et Hélène : « Des censeurs, décidant du péché qu'on peut faire / des cuisses d'un garçon se sont énamourés [...] / Je veux plaire par choix à des êtres de choix [...] / Mais de vrai fuir un monstre n'a rien de monstrueux [...] / La caverne béante et le fourré visqueux, / Trou dont la puanteur est sans pareille au monde. / Aviron ou bien mât, au large de la bonde ! »

Florence Colin-Goguel

in L'image de l'Amour charnel au Moyen Âge, Editions du Seuil, 2008, ISBN : 9782020861588, pp. 172/173

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