Guerres civiles, Clarisse Nicoïdski
Ce n'est rien de dire que Guerres civiles bouleverse. Ce roman ne laisse pas intact. Et, c'est sans aucun doute ce qui fait peur.
Une femme, Léa (qui se devrait de garder bien sage les illusions de bonheur des hommes), ose crier la solitude des humains, leur folie suicidaire, leur goût de la guerre, leurs crimes. Que « ceux qui espèrent une histoire, des péripéties... (qui) aiment bien qu'on leur raconte des voyages » referment ce livre. Ils n'en sortiront pas indemnes.
Léa, que son amant vient de quitter, s'enferme seule avec un enfant débile et muet. Les hommes font la guerre. Le monde s'écroule. Manchette, une très vieille femme, s'installe chez elle, prend toute la place. C'est la mort qui tricote inlassablement les habits de bébé. Que reste-t-il dans ce huis clos sans espoir ? La mémoire d'une autre guerre, l'enfance de l'auteur.
Clarisse Nicoïdski s'approche de l'essentiel qui la hante, son passé, autrement dit sa mort. Une enfant juive errant sur les routes pour échapper aux nazis, est abandonnée chez des paysans tueurs de cochons : l'apprentissage (mais apprend-on jamais à être arraché à la mère ?) de la solitude, de la peur, de la misère... Que reste-t-il sinon la fantasmagorie des rêves ?
L'enfant fou dialogue avec un clochard aux mains et aux pieds troués, des jeunes hommes glissent (« sans leurs fusils, c'étaient des riens, des gosses ») dans le paysage, un espace sauvegardé où le désir de l'autre corps tient l'humanité debout au bord du gouffre, dans l'attente incurable du bonheur : « Se méfier de ces linges qui prennent le corps trop près du corps quand il fait du vent et vous obligent à croire au soleil. »
Roman qui casse les règles bienséantes de la fiction, Guerres civiles donne la sensation de la folie mais ordonne son monstrueux désordre grâce à une écriture théâtrale, impudique et élaborée.
Un roman qui rend pitoyables tous les discours politiques. Ce livre touche le fond. Il exige que chacun affronte sa vérité. Mais peut-on écouter sans hurler l'ultime voix humaine, au bout du dernier chemin : « Il y eut un silence fait d'une musique indéchiffrable. »
■ Guerres civiles, Clarisse Nicoïdski, Éditions Payot, 1991, ISBN : 2228883840
Du même auteur : La nuit verte - Rumeurs dans la salle des profs