La beauté du corps... quand il est masculin
Tout d'abord, il faut songer que ce qui confère une « beauté » à un corps masculin, c'est une référence, implicite ou explicite, à une culture artistique, en tous cas à une production de l'imagination humaine.
De même qu'il est possible de dire d'un monstre qu'il est « beau comme un Goya », il est compréhensible que le corps masculin se réfracte dans une perception, identifié par la culture esthétique sous-jacente. Ce jeune homme est beau comme un Léonard de Vinci, comme un Donatello, comme un Praxitèle, etc. C'est dire que les goûts ne sont pas arbitraires.
Regardons une photo d'homme dans un magazine. Il y a un décor, des costumes, une personne. On peut simplifier et dire : il y a corps et décor. Ce n'est que par un effort d'abstraction – si l'on accepte d'aller au-delà de tous ces décors situant l'œuvre hic et nunc – qu'on peut être frappé par quelque chose de plus intemporel et omniprésent : la pose.
La pose du corps masculin est – pour moi – l'un des éléments essentiels de sa beauté. Si l'on considère les statues antiques, de la Renaissance italienne, celles de Rodin, Francisque-Joseph Duret ou des artistes modernes, on constate que la pose donne au corps une ligne, inscrit le corps masculin dans une figure géométrique secrète. La pose permet de radicaliser la géométrie approximative qui existe dans la structure anatomique.
Et c'est l'un des traits de la beauté, que la simplification, qui vise à une économie, procurant immédiatement une satisfaction durable.
Je ressens la courbe comme l'une des figures les plus satisfaisantes pour mon esprit : comme inscrire le corps dans une double courbe en « S », ou dans une figure reconnaissable.
Si l'on regarde l'« Adam » (ci-dessus) de Dürer (Vienne), on s'aperçoit tout de suite que le peintre a voulu inscrire le corps masculin dans des figures géométriques, des rapports mathématiques extrêmement précis.
Dans le film « Mort à Venise », c'est par référence à ces poses que ma culture esthétique a emmagasinées, que je suis sensible à la grâce de Tadzio tournant harmonieusement, autour des colonnes, devant le Pr. Aschenbach.
Les modèles masculins, ou féminins, qui posent aux Beaux-Arts savent qu'on les juge plus sur l'inventivité de leurs poses que sur leur plastique.
L'« Éphèbe d'Anticythère » (ci-dessus – 340 av. J.-C.) que l'on peut admirer dans le musée d'Athènes, me frappe par l'importance accordée à la pose du modèle.
Un autre caractère de la beauté masculine est le muscle. Si le corps de la femme s'inscrit dans la courbe, le rond ou le losange (cf. les premières statuettes féminines de la Préhistoire), la géométrie masculine est plus rectangulaire et longiligne. En ce sens le corps féminin est plus facile à styliser, à schématiser, à envelopper en une seule ligne (cf. Matisse), alors que le corps masculin exige des notations musculaires (pectoraux, muscles abdominaux, etc.). Le jeu des muscles rend en quelque sorte la beauté masculine analytique (la courbe introduit la femme dans une beauté synthétique) dans la mesure même de sa complexité apparente. Il suffit pour cela de constater la complexité de l'agencement musculaire chez un athlète. Le corps masculin est une machinerie visible, quand le corps féminin dégage le mystère d'une intériorité enveloppée. Le muscle lie, ainsi que la verticalité phallique (1), le corps masculin à une esthétique dynamique. On peut ici songer aux multiples représentations de la Grèce antique représentant des coureurs, des champions de course.
Ici, la beauté du corps masculin est mise en évidence par l'effort qui justifie le dessin précis des muscles, qui inscrit le corps dans une figure géométrique, et qui, paradoxalement, la brise dans un mouvement.
Finalement, ce qu'il serait convenu d'appeler la beauté du corps masculin est une construction et non une copie, une simple imitation. La beauté masculine est plus qu'une transfiguration des corps réels, c'est un modèle lié aux mythes concernant la virilité ; lesquels sont les précipités, les cristallisations de désirs collectifs.
Cela ne doit pas conduire à l'idée que la représentation du beau masculin est purement fictive, mais à l'idée essentielle que toute imitation est une recréation, à partir du réel subjectif et du réel objectif.
Le jour où une définitive mutation génétique bouleversera le corps de l'homme, à la fois comme objet et sujet, il n'y aura plus d'idéal de beauté masculine. Michel-Ange deviendra incompréhensible, inconcevable.
(1) À propos du pénis en tant que tel, dans l'ensemble phallique du corps viril, il apparaît comme gêne, cassure de la silhouette. Pour le crayon du dessinateur, le pénis et les bourses sont des ornements inattendus dans la géométrisation de l'aine. Pour le ciseau du sculpteur, l'intégration du sexe masculin dans le corps viril s'effectue par une stylisation, une réduction, ou une dissimulation. Dans l'art occidental, le corps masculin n'est pas célébré en état d'érection, sauf s'il s'agit d'un satyre, d'un silène, mais alors les jambes sont des pattes de bouc.