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Un instant d’éternité et autres nouvelles, E.M. Forster

Publié le par Jean-Yves Alt

Edward Morgan Forster souhaitait brûler la plupart de ses nouvelles. Nous sommes redevables à ses amis et compagnons de fredaines, Lytton Strachey et T.E. Lawrence, à qui il les montra, d'avoir évité un tel naufrage : car les treize nouvelles d'« Un instant d’éternité » dévoilent l'autre visage de l'auteur de « La route des Indes ».

Un rapport et un lien unissent ces treize récits : le souci constant de brocarder la respectabilité britannique.

Dans la nouvelle « Albergo Empédocle », Lord et Lady Peaslake et leurs amis impressionnent, par une entente tellement harmonieuse : en apparence pas un cil ne bouge, un groupe vraiment charmant, mais un tant soit peu éteint et silencieux pendant le voyage qui les mène de Palerme à Agrigente.

Un fil plus ténu relie ces treize récits l'un à l'autre, dans chacun d'entre eux, un événement, une rencontre imprévue vient craqueler cette façade de respectabilité.

Dans « Albergo Empédocle », le personnage d'Harold, délaissant sa fiancée Mildred Peaslake, s'endort-il du sommeil d'Endymion hors du sentier qui mène au temple, entre deux fûts de colonne : « Son corps déborde de vie, plein de la générosité de la terre et de la chaleur du soleil », un abandon inadmissible pour un citoyen de Sa Gracieuse Majesté, toujours soucieux d'un spectateur éventuel.

Dans « L'obélisque » et « Arthur Snatchfold », c'est un peu plus choquant :

« L'obélisque » relève tout à fait de l'humour anglais traditionnel, par son côté voleur-volé, arroseur-arrosé ; en l'espèce il s'agirait plutôt de la cocufiante-cocufiée...

« Arthur Snatchfold » se rapproche plutôt de Maurice mais comme le héros de Mort à Venise, un veuf, Sir Richard Conway, fait un jour la rencontre de la Beauté, pas sous les traits d'un blond éphèbe, déambulant dans le hall d'un hôtel de luxe, mais sous les traits d'un laitier musclé : chacun sait que le cliquetis matinal du « milkman » rythme autant la vie d'un Anglais qui se respecte que le rituel thé de l'après-midi ! Un peu plus tard Conway, en échancrant le col de chemise de Snatchfold, s'aperçoit, comme Hilda dans « L'obélisque » ou « Maurice » dans le roman qui porte son nom, que la gorge d'un laitier, d'un marin ou d'un garde-chasse ouvre plus d'horizons au désir que celle d'un aristocrate ou d'un instituteur.

Bien que, dans tous les nouvelles, Forster tourne le commutateur électrique un peu trop tôt, il suggère magnifiquement l'orgasme, par l'évocation fugace du décor environnant.

Par la bouche de Snatchfold, se découvre le message et la vraie morale de cet instant d'éternité :

« Qu'est-ce que ça peut bien leur faire, aux autres, si cela ne nous fait rien à nous ? »

À lire absolument !

■ Un instant d’éternité et autres nouvelles, E.M. Forster, Éditions Christian Bourgois, 2003, ISBN : 2267016559


Du même auteur : Maurice

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