Contre une loi pour punir les propos homophobes par Marcela Iacub
JURISTE ET CHERCHEUSE AU CNRS, MARCELA IACUB S'OPPOSE À UN DÉLIT D'HOMOPHOBIE, QUI CONSTITUERAIT UNE ÉNIÈME MESURE RÉPRESSIVE.
Têtu : Que pensez-vous d’une loi contre l'homophobie?
Marcela Iacub : Je suis absolument contre une loi qui punirait les propos homophobes. Quelle que soit sa formulation, je défends la liberté d’expression la plus totale, et je trouve que la France n’est pas assez respectueuse de ce droit. De plus, je considère comme une grave erreur politique de la part du mouvement gay, transsexuel et transgenre de penser qu'il va améliorer sa condition par de telles mesures et de dépenser son énergie pour obtenir l'adoption d'une mesure essentiellement répressive. Il devrait plutôt se consacrer à l’obtention de nouveaux droits, tels que le droit au mariage, à la filiation, à la disparition de la mention du sexe à l'état civil. Voilà des combats d'une grande ampleur, susceptibles de donner à ce mouvement un caractère révolutionnaire qu'il a malheureusement perdu aujourd'hui. Je trouve désolant - et même un peu fascisant - qu'il prenne les allures d'un mouvement de résistance pour demander à un gouvernement fondé sur la répression policière encore un peu plus de répression policière.
Têtu : Comment répondre aux besoins de réparation des victimes ?
Marcela Iacub : Le seul fait que vous posiez cette question montre à quel point cette revendication se mêle à ce qu'il y a de plus scandaleux dans la politique actuelle du gouvernement. L'idée que la peine est un moyen de permettre à la victime de dépasser ses «traumatismes» a abouti à ce que l'on condamne de plus en plus de psychotiques et que l'on propose même de juger les rares personnes que l'on ne peut pas éviter de déclarer irresponsables. On ne peut pas prétend re être un mouvement politique alternatif et brandir les slogans d'un Etat policier. J'ajoute qu'il ne faut pas confondre les propos et les actes violents. Ces derniers doivent être punis, évidemment. Mais non parce que leur mobile est une haine quelconque, car alors on rentre, paradoxalement, dans le fantasme du criminel. Tous les actes violents devraient relever du droit commun, et être punis comme tels. Si des personnes en agressent une autre parce qu'elle appartient à un groupe particulier, une peine commune fait du crime ce qu'il est : l’agression d'une personne - ce que les agresseurs visent à nier! Avec des peines particulières, on conforte l'idée que les victimes sont des êtres spéciaux, des Martiens protégés par des lois particulières. La peine devrait au contraire montrer au criminel que sa victime a exactement les mêmes droits que lui.
Têtu : Le fait que l'égalité n'existe pas entre homos et hétéros peut-il jouer sur l'expression des violences homophobes ?
Marcela Iacub : Eh oui. Insultés ou non, les individus concernés continueront à être victimes de discriminations touchant des droits fondamentaux, comme celui de se marier, de fonder une famille, de choisir l'identité sexuée qui leur convient le mieux.
Têtu : Quels seraient, alors, les moyens de lutter efficacement contre ces discriminations ?
Marcela Iacub : Abolir l'ensemble des mesures par lesquelles l'État cautionne juridiquement la discrimination négative fondée sur l'orientation sexuelle ou l’identité sexuée.
Têtu n°88, Propos recueillis par Emmanuelle Cosse, avril 2004