Oscar Wilde ou la vérité des masques, Jacques de Langlade
Avec cette biographie, le lecteur découvre un autre Oscar Wilde... Si Jacques de Langlade décrit un grand écrivain – ce que nul ne peut contredire – il parle aussi d'un homme courageux, profond, fasciné par le danger quand il chassait les « panthères » de la maison Taylor. Rien à voir avec l'image habituelle du dandy superficiel.
Même si dans le Londres luxueux des suites du Savoy ou dans la prison de Reading, Oscar Wilde reste un poète avant tout.
La mère d'Oscar Wilde, Speranza, était une héroïne de la résistance irlandaise. Même si elle s'est un peu reconvertie par la suite en devenant Lady Wilde. C'était une femme, avec une très forte personnalité. Le père d'Oscar, Sir William Wilde, un oculiste extrêmement célèbre, était aussi le chirurgien de la reine Victoria. Très intelligent, presque nain. Seulement voilà, il avait endormi et violé l'une de ses jeunes patientes. Une mère très possessive, un père donnant un exemple plutôt dramatique du rapport avec les femmes...
Après ses études à Dublin, Oscar Wilde a obtenu une bourse pour Oxford. Il était très rare qu'un roturier y soit admis. C'était réservé aux membres de l'aristocratie, de la naissance ou de l'argent. Wilde n'appartenait ni à l'une ni à l'autre. Il y fait des études très brillantes : il parlait couramment le grec et lisait Homère à livre ouvert. Il traduisait et lisait très bien le latin, parlait parfaitement le français et évidemment l'anglais. À vingt-trois ans, il obtient même le Newdigate Prize (l'équivalent du Prix de poésie de l'Académie française), en 1877. Et surtout, il a rencontré à Oxford, John Ruskin et Walter Pater, ses professeurs d'esthétique qui lui ont apporté une culture qui n'a rien à voir avec l'image du jeune homme frivole qu'on se fait couramment de lui.
L'atmosphère d'Oxford était alors très homosexuelle. Jacques de Langlade pense pourtant que ça n'aurait pas compté pour Wilde. La preuve ? Il est parti en voyage en Grèce avec le révérend Mahaffy, qui était le recteur du Trinity Collège de Dublin, où il avait fait ses études primaires et secondaires. Curieusement, Wilde n'a pratiquement pas parlé dans ses écrits de ce voyage en Grèce. Mahaffy, qui était un homosexuel « agressif » et qui lui avait fait traduire un livre sur les mœurs grecques, lui a probablement fait des avances. Et probablement il y a eu un retrait de Wilde, qui n'était pas préparé, alors, à une véritable expérience homosexuelle. En tout cas, il a été choqué par la conduite de Mahaffy et au retour de Grèce, il a pratiquement coupé les ponts avec lui.
Oscar Wilde avait une stature imposante et un très grand courage physique. Quand un jour, un costaud de la classe a ricané à la lecture d'un de ses poèmes, Wilde a traversé toute la salle et lui a administré une paire de baffes à lui faire tourner la tête. Une autre fois, son ami Frank Miles, chez lequel il habitait, a été menacé de chantage pour homosexualité. Wilde a reçu le maître chanteur et a déchiré devant lui la lettre compromettante. Et il n'a jamais reculé devant le marquis de Queensberry, le père de Lord Alfred Douglas, qui était toujours accompagné de trois ou quatre boxeurs professionnels… Des comportements qui ne collent pas avec l'image d'un évaporé.
Vers 1879, la mère de Wilde vient s'installer à Londres. Elle y ouvre un salon. On l'avait surnommée la madame Récamier de Chelsea, le quartier artiste. Là, trois événements marquants pour Wilde : sa rencontre avec les actrices Lillie Langtry et Sarah Bernhardt, et la fameuse querelle avec le peintre Whistler qui les a mis tous les deux en vedette ; toutes les lettres qu'ils échangeaient étaient publiées dans les journaux. Whistler faisait une conférence ? Wilde lui apportait la contradiction... À ce moment-là, Wilde voulait secouer la société victorienne, particulièrement ennuyeuse et grise. Il choquait par des tenues excentriques, en se promenant avec un tournesol, en s'installant à la terrasse d'un café de Picadilly pour demander un verre d'eau pour son tournesol... C'était un système. C'était tellement un système qu'il a été caricaturé dans les journaux. Oscar Wilde en a été enchanté, parce qu'il avait un sens très aigu de la publicité. Tout cela n'a pas duré très longtemps. Un an ou deux. Puis Wilde est parti pour une longue tournée de conférences aux États-Unis : sa théorie de l'esthétique avait mûri. Il avait toujours été en réaction contre la laideur en général. Il considérait maintenant que la seule chose qui comptait, c'était la beauté et il faisait table rase des questions de morale. Pour lui, une œuvre d'art était belle ou non, un poème bien ou mal écrit. Ça n'avait rien à voir avec son contenu. Il mettait en avant uniquement l'harmonie des couleurs, la décoration intérieure des maisons, les fleurs, le théâtre, le costume masculin ou féminin. Parce qu'il ne faut pas oublier qu'il avait été aussi journaliste de mode.
Oscar Wilde a épousé Constance Mary Lloyd, une femme un peu bas-bleu. Avec elle, il a eu deux garçons, Cyril et Vyvyan, qu'il adorait. Mais après la deuxième grossesse de sa femme, c'est la catastrophe. Il s'aperçoit que cette femme qui était un idéal androgyne parce qu'elle avait un côté masculin, tout d'un coup devient femme et s'abîme physiquement. C'est à ce moment-là qu'il rencontre Robert Ross et qu'il a sa première vraie expérience homosexuelle, il a alors trente-deux ans.
Avec Alfred Douglas, dit Bosie, le biographe bouscule tout ce que chacun sait de Wilde, en disant que c'était un amour plutôt platonique, leur sexualité passait par les jeunes « panthères ».
Pour Jacques de Langlade, Oscar Wilde n'a pas rencontré Alfred Douglas, mais Dorian Gray, le personnage du roman qu'il avait écrit trois ans avant. Quand on lui amène Lord Alfred Douglas, un aristocrate dont la famille remonte aux rois d'Écosse, exceptionnellement beau, très jeune, dix-huit ans, en extase devant Wilde, c'est la fascination réciproque : Douglas à cette époque était déjà un homosexuel notoire. Ensemble, ils ont peut-être eu, durant une période qui n'a pas dû excéder un an, des rapports furtifs. Mais leur relation est devenue ensuite un amour-passion pour Wilde et pour Douglas une façon commode d'être entretenu. >Wilde était surtout excité par le danger qu'il y avait à fréquenter Douglas, à se promener avec lui alors qu'ils étaient pourchassés par le père de Douglas. On voit naître le côté provocation de Wilde, le côté autopunition aussi, dont parle Robert Merle dans la préface. Ils fréquentaient la maison Taylor, où ils rencontraient des personnages « bariolés et pittoresques » qui évoquaient pour Wilde « des panthères dans la jungle ».
La catastrophe, c'est Wilde qui l'a voulue. Il a dit à Gide qui lui conseillait la prudence : « J'ai été suffisamment loin dans la direction de l'esthétique sans la morale, je suis arrivé au bout, je n'ai plus rien à dire, à écrire, il faut que j'aille de l'autre côté. » L'autre côté, c'est l'autopunition, c'est le masochisme, qui le conduiront au procès et à la prison.
En prison, dans des conditions épouvantables, moralement et physiquement, Wilde continue à prouver son courage : l'isolement total, la saleté, la nourriture abjecte, l'humiliation, la ruine... pour cet homme qui avait connu la gloire et le luxe des suites du Savoy. Wilde en tire une nouvelle morale. Son De Profundis, qui est une longue lettre à Bosie, il le termine comme ça : « Je suis peut-être venu au monde pour vous apprendre autre chose que la joie et le plaisir, mais la valeur de la douleur. »
■ Oscar Wilde ou la vérité des masques, Jacques de Langlade, Préface de Robert Merle. Éditions Mazarine, 1987, ISBN : 2863742604
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