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Dorian, une imitation, Will Self

Publié le par Jean-Yves Alt

Will Self a eu l’intelligence de ne pas écrire une suite du roman d'Oscar Wilde, funeste idée qui n’a guère réussi à tous ceux qui l’ont utilisée. Il évite l’écueil en optant pour une variation autour du mythe de l’éphèbe londonien à la beauté aussi lisse que son âme est sombre. Le début est habile, un peu convenu même. Son Dorian Gray est le sublime rejeton d’une riche famille d’aristocrates, des années 80.

Naïf, fragile, il devient l’amant d’un homme bien plus âgé, esthète pervers qui corrompra son âme et son corps. Son physique lui vaut de devenir le personnage d’une installation vidéo « porno » intitulée « Narcisse cathodique ». Il ajoute ainsi à ce portrait transposé, un clin d’œil critique, à la folie des installations d’art contemporain qui sévit depuis quelques années à Londres.

Un « Dorian » éternellement jeune ne recule devant rien pour transmettre le SIDA à tous ceux qui ont le malheur de croiser son chemin : mensonges, viols, partouzes … On pourrait y lire comme une apologie du barebacking (faire l'amour sans préservatif). A travers le comportement monstrueux de Dorian qu’il décrit sans aucune complaisance, Will Self se pose d’emblée comme un « témoin à charge » : la description de l’agonie d’un sidéen fait plus pour la promotion du sexe sans risques que pas mal de campagnes officielles. L'intrigue du livre d’Oscar Wilde s'étend sur une quinzaine d’années, mais n'aborde ni les changements sociaux, ni les développements politiques, comme si elle se tenait hors du temps.

Will Self, lui a incorporé une dimension politique. On ressent même une forme d’animosité à l'égard de la haute société britannique, donnant à son roman cette dimension. Il pointe les excès de liberté, de violence de ses contemporains : une société obsédée par les apparences, le culte de la célébrité, la volonté de posséder, le désir des quadragénaires de se comporter comme s'ils avaient vingt ans, le règne de la chirurgie esthétique, certaines dérives de l'art contemporain, du fétichisme moderne, de la transformation de l'homme en marchandise où la vie spirituelle passe au second plan. A tel point, qu’il n’éprouve plus le besoin de prendre à rebours la morale bourgeoise dominante. « Dorian, une imitation » véhicule finalement, une vision réaliste de la fin du XXème siècle. Will Self a joué d'une écriture libre, pleine de culture, mais aussi de néologismes hilarants (ou alors c’est au traducteur qu’on doit ce véritable feu d’artifice de métaphores : ne sachant lire l’anglais, je ne peux lire la version originale pour trancher). Will Self se comporte aussi comme un féroce moraliste, pessimiste, et aussi plein d'humour en ce temps de nostalgie des valeurs perdues de la morale.

Dorian, une imitation, Will Self, L’Olivier, 2004, 320 pages, ISBN : 2879293952

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