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Les passagers, un film de Jean Claude Guiguet (1998)

Publié le par Jean-Yves Alt

Le fil conducteur des « Passagers » : un tramway. Durant les brefs trajets des voyageurs, les destins se croisent mais ne se rencontrent pas forcément. Et nous suivons tantôt l'un tantôt l'autre hors du tram pour explorer quelques instants volés de sa vie privée.

Un trajet en tramway put être une quête d’espoir en l’humanité. La sincérité, l'émotion sont souvent au rendez-vous dans ce film, l'interprétation est volontaire, l'image marie les vues des lignes de la banlieue parisienne nord et de Strasbourg en créant un espace imaginaire, et plus finement, Jean-Claude Guiguet explore adroitement les comportements sexuels.

À mesure que le film avance, on devine le point commun entre tous les personnages. Ils mènent tous un combat silencieux pour préserver leur individualité face au monde moderne, pour réaliser leurs désirs malgré les turpitudes de la vie active, les conventions ou le quotidien d'une vie exsangue.

Construire une vie de couple, connaître enfin une passion amoureuse, vivre une sexualité différente sans se soucier des étiquettes ou des rôles prédéfinis. Ces étiquettes sont d'ailleurs dénoncées dans un excellent monologue de l'un des passagers - JeanChristophe Bouvet - sur la sexualité, magnifiquement interprété. L'un des moments de grâce du film.

Mais tous doivent aussi composer avec une société cynique et pouvoir y survivre. Nous ne voyons pas les personnages évoluer dans leur milieu professionnel (sauf la narratrice, Véronique Silver, admirable de vérité dans cette scène ou elle discute avec une collègue infirmière) mais l'on devine à travers les dialogues la place que prennent ces préoccupations matérielles qui sont autant de freins à leur vie.

Dans ce film, notre condition de citoyen soumis qui se débat pour exister un peu est dénoncée sans détour. Le tramway est à l'image de cette vie. Silencieux et design, il glisse dans la ville au milieu des tours. Dans ce temple de la sécurité et de l'ennui, la voix de la narratrice réchauffe le cœur. Assise au milieu des passagers, sereine, tel un sage, elle s'adresse à nous, elle nous prend à témoin. Elle a un rôle différent du narrateur habituel. Son intervention est davantage une réflexion sur les personnages ou sur le monde qui les entoure qu'une simple description de faits. Et c'est la force du film : cette volonté de dire les choses de manière frontale, de transcender l'anecdotique pour parvenir au cas général.

Le couple Rideau-Putzulu est une partie intégrée dans un tout. L'homosexualité est banalisée. Beaucoup de pudeur dans ce film avec des moments d'intimité qui nous révèlent de vrais personnages, complexes, construits.

"Les passagers" n’est pas un film naturaliste mais très stylisé. Le monde est entièrement réinventé. Ce n’est pas une photocopie du réel mais une transposition de la réalité, très consciente.

Le côté funèbre apparaît lorsque les personnages commencent à dire que les maîtres du monde sont l’exigence du « toujours plus » et c’est la fin de l’homme. Ou c’est la matière qui l’emporte et l’homme n’est plus qu’une marchandise. Si la docilité de l’homme face aux pouvoirs aboutit à ce qu’il soit détruit pour une réalité matérielle, alors, oui, on peut poser la question : où est-il ? Cette interrogation culmine avec cet échange :

« - C’est la folie authentique et sa rationalité qui différencient le génocide juif de tous les autres...

Il est né du rendement et de l’efficacité...

- Le mécanisme de son horreur est aussi celui qui fonde l’ensemble des sociétés industrialisées. Il est l’abîme que contient en silence l’idée béate du progrès. »

Pour casser le côté solennel, deux petits garçons interviennent alors :

« -Il y a pire que le bourreau...

- C’est son valet. »

À noter, une très belle mise en musique des images, en ayant recours à Tchaikovsky (Casse-Noisette), Berlioz (la Fantastique), Beethoven (3ème mouvement de la IXème), F. Couperin (les divines Leçons de Ténèbres) et Ferré (Spleen).

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