Ivresses du fils, Daniel Arsand
Mot de l'auteur : « Dans "Ivresses du fils" je me suis essentiellement attardé sur la sombre et longue relation que j’ai entretenue avec le vin.
C’est dire combien mon texte est autobiographique. J’ai osé aborder, scruter, affronter les scènes capitales qui ont jalonné mon enfance, mon adolescence et quelques années de ma vie d’homme. En les écrivant le passé m’est monté à la tête et j’ai lâché presque allègrement la bonde à mes souvenirs. Je me suis mis alors à évoquer un certain vin d’oranges dont le souvenir est associé à ma grand-tante, à sa demeure pleine de miroirs et de recoins, à son jardin où se dresse toujours un magnolia qui, croyais-je enfant, finirait par toucher le ciel.
A commémorer ce vin de table que je sifflais seul, le jeudi après-midi, dans la fascination que j’éprouvais pour ma grand-mère disparue avant ma naissance. A dresser un portrait sans concessions ? du moins, je l’espère ? d'un garçon timide, sensible, narcissique, violent et cruel, et d’un adolescent marqué par les humiliations verbales et physiques au lycée. J’ai exhumé de ma si frileuse mémoire le souvenir de ces nuits de mai et de juin pendant lesquelles j’avais éclusé tous les vins de la cave paternelle tandis que ma mère se mourait à l’hôpital.
De chapitre en chapitre, d’une évocation à l’autre, je me suis soudain enfoui dans la vision de vignes empourprées par un glorieux soleil d’automne. C’est de solitude, d’éblouissement et de désespoir dont je parle. Mais aussi de mon incapacité à éprouver le sentiment amoureux, incapacité que je niais parfois, que j’oubliais souvent en vidant bouteille sur bouteille, couché sur mon lit et attendant d’être enfin sans mémoire et sans désir. »
Daniel Arsand
Un récit autobiographique, impitoyable envers son auteur, laissant un goût de larmes. Daniel Arsand a entrouvert la porte de son passé. Et l'émotion est là, à fleur de page et de cépage qui nous vrille le cœur.
Sa mère se tait. Son père est ailleurs. Arsand raconte la vie souterraine d'un homosexuel d'avant Mai 68. Le tout avec une délicatesse, une retenue et une écriture qui bouleversent. Arsand cherche et trouve toujours le mot juste, celui qui dit le désarroi, l'amour, la quête désespérée d'une vérité qui se dérobe, le désespoir, la peur, l'ivresse de l'oubli.
Le vin est omniprésent, mais il n'est pas le même selon les moments de la vie. Vin joyeux de l'enfance savouré en compagnie de la grand-tante ; vin des jeudis bu en cachette pour s'étourdir sur le lit, tandis que dehors plane la menace des violents camarades de classe dits normaux ; vin du désespoir avalé pour s'abrutir, pour se persuader que la mère n'est pas malade puis qu'elle n'est pas morte et que les seuls cadavres sont ceux des bouteilles éclusées...
Daniel Arsand livre un terrible constat: il noyait dans l’ivresse sa douleur d’être totalement inapte à aimer ! Il retrace avec sensibilité les moments où elle fut comme une réponse apaisant la difficulté à vivre avec soi-même et avec son prochain.
On aurait envie de lui glisser à l’oreille qu’il suffit parfois de se savoir aimé.
■ Ivresses du fils, Daniel Arsand, Stock, collection « Ecrivins », 2004, ISBN : 2234056659