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Penser la mort

Publié le par Jean-Yves Alt

Depuis le XVIIIe siècle, la mort a été déclarée comme prenant trop d’espace dans la vie humaine, et a été ainsi reléguée entre les mains des médecins. Une grande angoisse du XVIIIe siècle fut celle d’être enterré vivant. Aujourd’hui, ce serait plutôt de finir dans un cercueil de tuyaux et de fils, mort-vivant sans relation à l’autre par une médicalisation acharnée.

La demande d’euthanasie – d’une «bonne mort» - se trouve être, alors, une manière de forcer les autres à se préoccuper de la personne agonisante, ne serait-ce qu’en lui donnant la mort, s’ils n’ont pas offert auparavant présence et réconfort. Les partisans d’une libéralisation de l’euthanasie se réfèrent aux arguments individuels de liberté et de dignité, dignité signifiant le désir «de rester maître de soi, de ne pas perdre le contrôle de son corps, de ses sécrétions, de ses émotions. [...] L’idéal du moi rend insupportables la souillure, la dégradation, l’enlaidissement.» [1]

Le corps, objet de toutes les attentions durant la vie, ne doit plus trahir au terme de celle-ci. Il s’agit de choisir, dans une posture esthétique, l’instant de sa mort, en allant jusqu’à l’organiser et la théâtraliser. Mais cette référence individualiste est souvent illusoire : derrière quelques situations dramatiques de personnes criant leur désir d'en finir, combien de cas, noyés dans l'anonymat, où la fin de vie est gérée directement par le personnel médical, dans une décision de continuer ou non les soins, prise sans l’avis de la famille ou du principal intéressé, d’ailleurs rarement à même de le donner.

Cette mise en avant de la liberté individuelle est un vœu hypocrite : celui d'une «bonne mort» pour l'autre qui cache une réalité moins ragoûtante : «L’euthanasie se présente comme un moyen de parvenir à la bonne mort. Bonne pour qui ? Pour la personne en fin de vie, son entourage, le système de soin, la société dans son ensemble.» [1]

Plutôt que d'assurer à tout citoyen une bonne mort socialement correcte, rassurante et hygiénique pour la société, que pouvons-nous faire pour aider à accompagner ceux qui sont en fin de vie dans une bonne mort «intérieure» ?


[1] À lire : Pascal Hintermeyer, Euthanasie, la dignité en question, Editions Buchet-Chastel, Collection Au fait, 2003, ISBN : 2283019257

Présentation de l'éditeur : Qu’en est-il de la mort alors que l’allongement de la durée de la vie et les progrès de la technique médicale bouleversent les données du «dernier passage» ? N’allons nous pas, sans le dire, vers une fin de vie interminable et déshumanisée ? Du coup le débat se focalise sur l’euthanasie, en invoquant le droit à mourir dans la dignité. Pascal Hintermeyer reprend la question en s’interrogeant sur ce qu’est la « bonne mort », en faisant le point sur les pratiques de soins palliatifs, montrant en quoi elles clarifient les termes de la discussion, et en plaidant pour que la fin de vie ne soit plus laissée en friche. Quel sens donner à ce point ultime de la condition humaine et à la mort ?

Biographie de l'auteur : Pascal Hintermeyer, 47 ans, dirige depuis 1996 l'Institut de sociologie de l'université Marc-Bloch de Strasbourg. Il a publié en 1981 Politiques de la mort (Payot), participé en 1994 à Un voile sur l'amour - Enquête sur les jeunes face au sida (Presses universitaires de Strasbourg). Il est l'un des meilleurs spécialistes français de l'approche sociologique des questions touchant au rapport à la mort.


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