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Thérapies anti-homos

Publié le par Jean-Yves Alt

Lobotomie, électrochocs, vomitifs : jusqu'aux années 1960, le corps médical a parfois traité l'homosexualité comme une maladie mentale. Avec des méthodes aussi radicales qu'indignes.

Historia - Quand et comment apparaît la médicalisation de l'homosexualité ?

- Louis-Georges Tin - Il existait déjà dans l'Antiquité des textes médicaux et paramédicaux sur les relations dites contre nature, notamment entre femmes. Il s'agit toutefois de textes marginaux. La véritable médicalisation de l'homosexualité intervient massivement à la fin du XIXe siècle. On assiste alors à un essor de la médecine psychiatrique. Autrefois condamnée par l'Eglise, la pratique homosexuelle est en outre condamnée par la science.

Historia - Au XIXe siècle, le psychiatre allemand Krafft-Ebing a joué un rôle fondamental dans la lutte contre l'homosexualité…

- Louis-Georges Tin - Krafft-Ebing invente la qualification de « perversion sexuelle». Il emprunte ce mot au vocabulaire de la théologie et de la philosophie morales pour l'appliquer au domaine médical. Cette « perversion » est associée à des pratiques qui ne sont pas directement liées à la procréation. Dans la cartographie des perversions sexuelles, il désigne l'homosexualité comme matrice de toutes les autres : fétichisme, voyeurisme, sadisme, etc. Krafft-Ebing intègre à ses travaux les théories du Français Morel sur « l'hérédité des tares » et la dégénérescence - idées selon lesquelles les vices et les maladies se transmettraient de génération en génération. Il fait apparaître les homosexuels comme des « fins de race », mettant en péril leurs éventuels descendants. Le thème de la décadence individuelle fait ainsi écho à la décadence collective et supposée de l’Occident chrétien.

Historia - Quels furent, à cette époque, les protocoles thérapeutiques mis en place ?

- Louis-Georges Tin - Les premiers traitements apparaissent au XIXe siècle avec la neurologie. Puis vient l'heure de la psychiatrie, suivie de la psychanalyse dans les années 1920-1930. L'endocrinologie intervient à partir des années 1940 avant d'être elle-même supplantée par la génétique. Mais, globalement, sur toute la période, les «sciences» dominantes demeurent la psychiatrie et la psychanalyse. Plusieurs psychiatres du XIXe siècle s'adonnent à des pratiques qui confinent parfois au charlatanisme. Les thérapies recourent aux électrochocs et aux vomitifs de manière à dissocier le désir de l'objet du plaisir escompté. Parmi les méthodes plus douées en apparence, mais souvent destructrices en profondeur, figure l'hypnose, au cours de laquelle le thérapeute suggère à l'individu de renoncer à cette «perversion». On propose aussi des cures de «désintoxication» dans des stations balnéaires. Les traitements les plus violents vont êtres utilisés dans les camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale. À Buchenwald, les nazis injectent des hormones masculines à des homosexuels masculins pour qu'ils «retrouvent» leur virilité! Ces techniques ont très vite montré leur inefficacité. On a même constaté chez certains individus une recrudescence de libido homosexuelle. C'est à la fois cocasse et tragique. Bientôt apparaît un nouveau «traitement» la lobotomie. Théorisée par le neurobiologiste portugais Egas Moniz, lequel avait publié dans les années 1930 un manuel intitulé La Vie sexuelle, véritable tissu d'homophobie. Il y explique que la lobotomie peut être une solution pour «guérir», entre autres, les homosexuels. En 1949, Egas Moniz recevra le prix Nobel de médecine ! La lobotomie apparaît alors comme une plongée extraordinaire dans les secrets du cerveau.

Historia - Quelles sont les sources auxquelles vous avez eu accès et qui légitiment la dénonciation de ces thérapies ?

- Louis-Georges Tin - L'historien Rosario Vernon a publié en 1997, Science and Homosexualities qui fait le point sur les sources existantes. Jusqu'aux années 1950-1960, elles émanent du corps médical sous forme d'articles parus dans les revues médicales ou de travaux universitaires. Les médecins donnent une idée qualitative des traitements qu'ils administrent. Mais, comme ce ne sont ni des sociologues ni des statisticiens, on ne dispose pas de chiffres.

Historia - Quels sont les pays qui se sont engagés dans cette croisade «médicale» contre l'homosexualité ?

- Louis-Georges Tin - Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, les traitements sont principalement le fait de l'Europe et des Etats-Unis. Mais ce sont les pays totalitaires et nationalistes, Allemagne nazie et Russie soviétique en tête, qui se montrent les plus virulents parce qu'ils veulent faire de l'individu un outil social et militaire au service de la Nation. À partir des années 1970, face à l'émergence des mouvements homosexuels, la légitimité morale de ces pratiques apparaît de plus en plus douteuse. En revanche, le Moyen-Orient, la Chine, et bien des pays d'Amérique latine découvrent après guerre ce qui se faisait en Europe avant guerre et légitiment encore aujourd'hui des traitements qu'on croyait disparus.

Historia - Qui étaient les homosexuels les plus visés ? Les anonymes ou les membres de l'intelligentsia ?

- Louis-Georges Tin - L'exemple classique est celui du jeune homme ou de la jeune fille issus de la classe moyenne ou de la bourgeoisie que les parents «bienveillants» amènent chez le psychiatre ou le psychanalyste. Les patients sont plus ou moins consentants. Ils subissent la pression de la famille. Dans les milieux populaires, les individus sont plutôt mis au ban. Certaines personnalités éminentes ont aussi été visées, souvent dans des circonstances politiques particulières. L'exemple d'Alan Turing est le plus emblématique. Ce mathématicien anglais connu pour ses travaux à l'origine des recherches sur l'intelligence artificielle, est devenu un héros national en décryptant le code «Enigma» des Allemands en 1939-1945. Dans les années 1950, suite à un cambriolage, il porte plainte. Au cours de l'enquête, la police découvre son homosexualité. Il est condamné pour gross indecency (amendement datant du XIXe siècle dont Oscar Wilde fut déjà victime) et est soumis à un traitement hormonal. Les conséquences sont dramatiques tant sur le plan physique que psychologique. La réplique politico-militaire ne se fait pas attendre. On lui retire tous ses travaux. La sécurité de l'Etat l'impose. Il est impensable qu'un homosexuel s'occupe d'enjeux nationaux car il symbolise la figure du traître potentiel. Entre les années 1920 et les années 1960, on soupçonnait les homosexuels de faire partie de réseaux internationaux et d'échanger des secrets militaires sur l'oreiller. Mis au ban de l'université, surveillé en permanence, traumatisé par le traitement, Turing se suicide en 1954.

Historia - En 1973, l'American Psychiatrist Association supprime l'homosexualité de la liste des maladies mentales. L'Organisation mondiale de la Santé a attendu 1990 pour prendre la même décision. Pourquoi ?

- Louis-Georges Tin - Principalement à cause du rapport de forces au sein des Nations unies. Les Etats-Unis et quelques autres pays étaient favorables à cette décision mais la majorité y était hostile. Beaucoup de médecins de l'OMS ont affirmé qu'ils avaient voté pour des raisons politiques, conditionnés par la pression américaine.Sur le fond, ils n’étaient pas convaincus, considérant toujours l'homosexualité comme une maladie !

Historia - De telles pratiques existent-elles encore ?

- Louis Georges Tin - Le fait marquant réside aujourd'hui dans les nombreuses «reparative thérapies» proposées aux Etats-Unis aux homosexuels. Il s'agit d'un mélange étonnant de psychothérapie et de prière, élaboré afin de ramener les déviants dans «le droit chemin de l'hétérosexualité». Les homosexuels ainsi «guéris», fût-ce de manière provisoire, ont même constitué des associations d'« ex-gays », susceptibles d'attirer à elles ceux des homosexuels que la honte, la solitude et la haine de soi avaient condamnés à la misère psychologique. Soutenues par des Eglises, par des sectes et par la droite évangélique, ces associations connaissent un certain succès aux Etats-Unis depuis les années 1970. Et elles tendent aujourd'hui à se diffuser en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine. Il y a quelques mois, au Brésil, dans l'Etat de Rio, un député du Parti social chrétien. Pasteur de la secte évangélique Assemblée de Dieu, a déposé une proposition de loi pour une aide morale et médicale aux «personnes qui, volontairement, ont opté pour le passage de l'homosexualité à l'hétérosexualité». Le texte a déjà été voté par les deux commissions chargées de la Justice et de la Santé...

Louis-Georges Tin : Chercheur à l'Université de Manchester en littérature française, Louis-Georges Tin a dirigé le Dictionnaire de l'homophobie publié aux PUF en 2003. Il est l'initiateur de la première Journée mondiale de lutte contre l'homophobie qui aura lieu le 17 mai 2005, quinze ans Jour pour jour après la décision de l'OMS de supprimer l'homosexualité de la liste des maladies mentales.

Renseignements : www.ilga.org

Revue Historia n°698 S, Louis-Georges Tin interrogé par Eric Pincas, février 2005, pages 78-79


Lire aussi sur ce blog : Le jardin d'acclimatation, d'Yves Navarre

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