Mon amour, Emmanuel Adely
Trois couples hétérosexuels et un « couple » homosexuel sont saisis au moment d'une crise suffisamment importante pour que les principaux protagonistes en arrivent à une conclusion qui frise le paroxysme. Le roman est construit en dialogues croisés, chaque personnage faisant l'état des lieux de ses relations amoureuses.
Des « inconnus » prennent la parole pour dire toute la beauté et la difficulté d'aimer :
« L'amour c'est pas fait pour les pauvres…, c'est un luxe quand t'as déjà du luxe, c'est comme du parfum, tu vois, des trucs qui servent à rien qu'à sentir bon en plus. »
Constat bien cruel : les oubliés, les « cabossés », les laissés-pour-compte le sont aussi dans leur vie affective.
Dans mon « Mon amour » nous sommes dans une cité avec des immeubles trop hauts et où l’on découvre une dizaine de personnages liés familialement et blessés par la vie : la mère Roberta qui, quotidiennement regrette son premier amour, le père Daniel - vie brisée entre le chômage et l’incompréhension - qui se laisse aller pour ne jamais avoir été aimé, le grand fils Kévin homosexuel qui vit en secret ses liaisons dangereuses en faisant le tapin, les jumeaux si jeunes et déjà tellement déçus, la tante, le petit dernier... : tous souffrent et le disent dans l'urgence, à petits coups précis de fragments qui s'entrechoquent, de phrases qui se complètent, se contredisent. Il y a de l’amour mais aussi et surtout des solitudes, des échecs qui accompagnent la lecture de ce livre dans un malaise vertigineux.
Pas de contestation ni action militante dans ces vies : tous les personnages sont « fatigués ». Le thème n’est certes pas original mais est superbement mis en scène. On sent qu’Emmanuel Adely est intéressé par l’humain, l’intimité des personnes, ce qu’il y a derrière les masques ; autrement dit tous les rapports que n’importe qui peut éprouver quelque soit sa classe sociale : la dureté, la profondeur, la violence... et la grande détresse qui naît de tous ces sentiments. Tout ça rend caduque les anecdotes de chaque vie.
En utilisant le registre de l'oralité dans son écriture [avec une ponctuation très limitée], Emmanuel Adely accentue l'idée, bien au delà des seuls personnages du livre, qu’aujourd'hui chacun vit dans des mondes séparés. Il nous propose ainsi un aperçu de la condition humaine. Des portraits faits de compassion et de tendresse où les protagonistes essaient de se débattre dans un monde qui, manifestement, n'est pas fait pour eux.
Mon amour, Emmanuel Adely, Editions Joëlle Losfeld, 2005, ISBN : 2070789543
Biographie de l'auteur : Emmanuel Adely est né à Paris en 1962. Il a publié Les cintres (Minuit, 1993), Dix-sept fragments de désir (Fata Morgana, 1999), Agar-agar (Stock, 1999), Jeanne, Jeanne, Jeanne (Stock, 2000) et Fanfare (Stock, 2002). Son avant-dernier roman Mad about the boy a paru en 2003 aux Editions Joëlle Losfeld.