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Hommage à Abel Hermant : un Oscar Wilde français

Publié le par Jean-Yves Alt

Abel Hermant (1852-1950) admirait Oscar Wilde dont il eut, à peu de différence près, le destin malheureux. S'il ne connut pas le hard labour, comme l'auteur de « Salomé », il fut, à la Libération et tout académicien qu'il était, à 82 ans et plus, mis en résidence surveillée.

Il mourut peu après. Les causes de cet ostracisme, de sa destitution de l'illustre compagnie ? Le fait qu'il ait, à Radio-Paris et dans quelques chroniques, approuvé de biais l'occupation allemande. Mais d'autres ont fait certainement pis qui, n'ayant pas comme Hermant l'excuse du grand âge, se sont vus, le temps ayant coulé, remis dans les premières places. Abel Hermant paya lourd ses imprudences et, comme on l'a laissé entendre, une trop vive admiration pour les Siegfried blonds, en uniforme vert, qui déferlaient sur Paris. Beaucoup de dames, en 40-44, eurent le même frisson. Les filles du peuple et les prostituées payèrent cela par la tonte. Les mondaines se tirèrent de leur voluptueux faux pas sur un air de Wagner, musicien que certaines d'entre-elles ont continué, cet hiver, d'applaudir à l'Opéra.

Bien sûr, l'auteur des « Mémoires pour servir à l'histoire de la société » (1901-1929) a eu tort de mettre sa plume et sa voix au service de l'occupant, fût-ce avec son esprit piquant et le goût de surmonter les drames, même sociaux, qu'il devait à Voltaire. D'autant que, contradictoirement, il n'avait cessé, dans son œuvre, de vanter les délices de l'Angleterre, son peu de goût de la lourdeur teutonne, et sa vive sympathie des jeunes Anglais. En le bannissant, l'Académie agissait, à sa façon et par extension, en corps d'État tenu à certaines règles patriotiques. Mais, aujourd'hui, comme on souhaiterait qu'oubliant événements et vindictes elle reconnaisse au moins ceci : qu'après avoir abrité tant de médiocres dans son sein, elle reconnaisse davantage qu'en appelant Abel Hermant, dans les années 20, elle donnait l'immortalité à l'un des meilleurs écrivains du vingtième siècle.

Avec une clairvoyance qui n'est pas ennemie des grandes profondeurs, Abel Hermant a su éclairer son enfance, saisir le présent et, par maints tableaux, maints types ingénieusement vus, campés, motivés, donner une image du Parisien de son époque, pris dans la bourgeoisie, la politique, voire les milieux artistes. Il a été un observateur malicieux, traitant selon leur juste valeur les marionnettes qu'il présentait : condamnation radicale de la société superficielle, absurde, faite par un homme qui savait que peu d'êtres humains méritent d'être pris au tragique.

Un roman comme « Le joyeux garçon » (1913), contant l'histoire d'un étudiant anglais naïf, Éric Warden, venu faire un séjour au pair dans une famille française, séduisant involontairement son hôtesse, puis mourant héroïquement sur le front, est une pure merveille de drôlerie. La mort de l'étudiant révèle, de plus, un Abel Hermant bouleversant.

Dans « Serge » (1926), le héros, Serge de Ménassieux, adolescent, a grandi avec Aline Herbelin, la fille du propriétaire voisin. Le roman dépeint les difficultés des deux jeunes gens à se dire leur amour si bien qu'Aline se mariera avec Louis de Gravilliers. Le portrait – homoérotique – de Serge (lire pour illustration le chapitre I) est particulièrement intéressant.

Dans « Le linceul de pourpre » (1931), le duc Armand de Charost, s'éprend de lui-même sous l'aspect d'une cousine qui est son sosie. Le livre, d'un bout à l'autre, donne un plaisir sans partage : la verve de l'auteur, servie par une action à rebondissements imprévus et un décor étrange à souhait, ne cessant de fuser.

Le « Cycle de Lord Chelsea », est comme le couronnement de l'œuvre d'Abel Hermant, dans ce qu'elle a de plus typique. Calqué sur le personnage d'Oscar Wilde dont l'aventure avec Lord Alfred Douglas puis le procès l'avaient troublé, Hermant invente un Lord qui traverse des tentations pareilles, ou peu s'en faut, à celles de Wilde.

Comme l'auteur du « Portrait de Dorian Gray », le très honorable Lord Chelsea scandalise volontiers la gentry, fréquente des endroits où il n'est pas bon qu'on le sache, a des complaisances, des connaissances qui lui valent le blâme et, bientôt, la condamnation de la société.

Lord Chelsea, suprêmement indépendant, généreux, désinvolte, sait à quoi s'en tenir sur ses pairs et cultive la fleur bleue avec de petits jeunes gens insolites, danseurs rebelles à leur milieu.

Le très honorable Lord est un marginal de la plus élégante espèce (peut-être le propre portrait d'Hermant). Chelsea s'éprend du très jeune lord Verulan, avec une ambiguïté qui cache tout sans rien cacher, puis traîné devant le Tribunal, comme le fut Wilde.

Dans « Tantale », qui clôt le « Cycle du Lord », le lecteur rencontre le baron Dolmancé (présent dans Camille aux cheveux courts), autre aller ego de l'écrivain et, partant, de Wilde. Hermant laisse entendre que Dolmancé, encore vert, a fait pis que Chelsea, impunément. Dolmancé le sait d'ailleurs, et déguste sa propre subtile et secrète dépravation. Or, les circonstances de la vie du baron le conduisent, sur une plage bretonne, à assister au suicide de Lord Chelsea, trahi par Lord Verulan à sa sortie de prison. Les hautes lames l'emportent, sous les yeux de Dolmancé, qui se sent curieusement en reste. « Tantale » est un chef-d'œuvre d'économie et d'aveu si subtilement fait dans la littérature.

Pourquoi Abel Hermant fut-il si impressionné par Oscar Wilde, qui mourut misérablement dans un hôtel de la Rive gauche, par son procès, ses amours ? Il est possible de faire l'hypothèse qu'il eut, à sa façon, une vie secrète, se dépeignant en baron Dolmancé. Il a, sans doute, comme Dolmancé, le sentiment que certains destins, qui se sont cru libres, doivent se jouer selon un mystérieux fatum. Et, chose étrange, on peut conclure qu'Abel Hermant paya, comme Oscar Wilde, une vie dont il n'a dit qu'à demi-mots les délices, les prédilections. Sa mise en « résidence surveillée », alors qu'il était si près de la mort, ressemble un peu, toutes proportions gardées, à l'incarcération de Wilde à Reading. Voilà pourquoi la vie de cet écrivain qui n'était qu'esprit, apparemment, semble plus douloureusement inscrite qu'il ne l'a cru longtemps lui-même dans la vérité, le tragique.

Pour ce qui est de goûts sur lesquels, sans doute, Hermant serait plus explicite aujourd'hui, ils apparaissent, dans son œuvre, notamment dans « La Mission de Cruchod » (1885), réédité en 1895 sous le titre « Le disciple aimé » puis en 2014 sous le titre « Une folle amitié de collégien » ; goûts mis en laisse par la façade publique de l'écrivain : académicien, homme en vue, chroniqueur du « Temps ». Mais, en ne disant pas tout à fait ce qu'il dit, Hermant est aussi savoureux qu'inimitable, et l'on peut après tout préférer son Jean-Baptiste, son Chelsea, son Dolmancé au baron de Charlus, le jour où on est las des cheveux coupés en seize et des digressions proustiennes. D'ailleurs on peut se demander dans quelle mesure « Une folle amitié de collégien » n'annonce pas, d'une part, « Si le grain ne meurt » de Gide, « À la recherche du temps perdu » de Proust, d'autre part.

L'éditeur, Jean-Claude Féray, a d'ailleurs fait une brillante analyse des goûts d'Hermant (1).


(1) Jean-Claude Féray – Des amitiés particulières aux paternités singulières : les secrets d'Abel Hermant – 160 pages – 2019 – ISBN : 9782955139974 – 22 €

Ce livre contient trois révélations fracassantes qui bouleversent la biographie officielle d'Abel Hermant : une paternité secrète et malheureuse de l'écrivain, à 22 ans, avant son mariage avec la fille de l'éditeur Georges Charpentier ; son amitié particulière pour Georges Hall, le jeune et bel Américain qui a vécu l'histoire racontée dans « Une folle amitié de collégien » ; enfin, l’adoption, en 1915, du fils de son ancienne maîtresse, Joachim Marcel Ardavani, pour lequel l'Académicien français a éprouvé des sentiments dignes d'inspirer un Euripide ou un Racine modernes.


D'autres romans d'Abel Hermant sur ce blog :

Camille aux cheveux courts - Le disciple aimé

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J
Merci pour votre article très élogieux sur Abel Hermant<br /> Vous savez qu’Etienne Gilson a été élu à l’Académie française, en remplacement d’Abel Hermant qui avait été radié. Gilson n’avait pas le droit, dans son discours de réception, de prononcer l’éloge d’Abel Hermant. Mais il a fini son discours en lui rendant un hommage appuyé, sans le nommer, en disant qu’il fallait pardonner à ceux qui auraient commis quelques fautes, en se souvenant avant tout des services qu’ils avaient rendus à la langue française :<br /> « […] si, parmi les bons serviteurs qui l’ont chérie et maintenue de toutes leurs forces, l’histoire devait plus tard en rencontrer qui ne furent pas sans erreurs ni faiblesses, est-ce trop demander ici qu’elle se souvienne aussi de tant de services rendus à notre langue ? Je m’en souviens moi-même, je l’avoue et si scrupuleusement que j’interroge ma conscience, elle ne me le reproche pas. En cette heure unique pour moi, elle ne me reproche même pas de vouloir un instant oublier le reste. À ceux qui ont beaucoup aimé notre langue, pardonnons, Messieurs, à la mesure même de leur amour. »<br /> Abel Hermant a dû en avoir un écho, et cet hommage lui a sans doute été une consolation émouvante pour lui.<br /> Le lien vers ce discours sur le site de l’Académie :<br /> http://www.academie-francaise.fr/discours-de-reception-detienne-gilson
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