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Les icônes rouge et or du monastère Sainte-Catherine au Mont Sinaï

Publié le par Jean-Yves Alt

La Fondation Gianadda a accueilli à Martigny (SUISSE) du 5 octobre au 12 décembre 2004 la partie centrale d'une exposition montée au Metropolitan Museum, dédiée à l'art byzantin tardif. Les 37 icônes qui ont été exposées appartiennent au monastère de Sainte-Catherine bâti au pied du mont Sinaï dès l'an 330. Elles ont été prêtées à titre exceptionnel.

Le premier prêt d'icônes pour une exposition (à New York, en 1977) ne se fit pas sans de longs débats au sein de la communauté. Il a fallu passer outre la crainte qu'elles ne soient perçues que comme « des objets exotiques ou d'agréables curiosités décoratives ».

HISTOIRE

Le monastère orthodoxe de Sainte-Catherine du Sinaï, en Egypte, est l’un des plus vieux monastères en activité dans le monde. Il est construit au sud de la péninsule du Sinaï, en plein cœur du massif, au pied de la montagne sacrée où le récit biblique et la tradition situent la réception du Décalogue. Le monastère est élevé sur le lieu même où Moïse aurait vu le Buisson ardent. Dans les premiers siècles chrétiens, des ermites, attirés par la signification historique de la région, et cherchant refuge face à la persécution romaine y établirent leur demeure solitaire. Depuis le IIIe siècle, ce lieu est habité par des hommes qui, poussés par leur soif de communion avec Dieu dans le silence et la prière, « abandonnèrent la cité pour faire du désert leur cité ». A la fin du IVe siècle, des pèlerins de pays lointains venaient au Sinaï pour visiter les lieux sacrés. Le monastère fortifié proprement dit, ainsi que sa magnifique basilique, fut édifié à la demande de l’empereur Justinien le Grand au milieu du VIe siècle. La prière, la purification du cœur, le repentir font rayonner la grâce divine en ce lieu où les pèlerins à travers les siècles n’ont cessé d’affluer.

L’isolement du monastère Sainte Catherine dans une terre d'Islam, qui ne remit jamais en cause cette présence chrétienne - en signe de bonne volonté, les moines ont élevé une mosquée à l'intérieur des murs -, en a fait un lieu miraculeusement préservé. Le plus ancien monastère au monde en activité n'a, en effet, connu ni pillage ni interruption.

TRESORS

L’apaisante vie ascétique et la prière continuelle ne suffisent pas comme seule voie de salut. Y ont contribué l’adoration et la création d’incomparables œuvres spirituelles. A travers les siècles, moines et pèlerins apportèrent au monastère des trésors de l’art religieux (1), dont un grand nombre y ont été conservés. L’isolement géographique du site, les conditions climatiques parfaites et le zèle des moines ont aidé à la préservation des objets liturgiques qui se sont accumulés, au cours des siècles dans l’enceinte du monastère.

La basilique et les chapelles du monastère s’ornent d’une multitude d’icônes, présentes dans la vie liturgique quotidienne, non seulement des frères du Sinaï mais aussi des pèlerins. Ainsi l’exposition de la Fondation Pierre Gianadda qui a montré trente-sept icônes, trois manuscrits et un calice a été un événement considérable. Ce calice ouvragé en vermeil fut donné en 1411 par Charles VI, roi de France.

Ces chefs-d’œuvre de l’art byzantin, ont été exposés pour la première fois en Suisse. Ils n’ont été que très rarement vus à l’étranger. La collection d’icônes est considérée comme la plus grande au monde et les manuscrits, d’une bibliothèque reconnue comme la plus vieille et l’une des plus importantes qui soient. Cet événement a permis aux visiteurs de comprendre la beauté artistique de ces vénérables trésors et de méditer sur la signification spirituelle de la vie de prière et d’adoration pour laquelle ils ont été créés.

LES ICÔNES : UN ART DU SYMBOLE

L’icône exprime l’Orthodoxie, elle est une théologie en image et rend présent ce que l’Evangile proclame par la parole, elle véhicule la Tradition de l’Eglise. Le culte des icônes prend naissance à Byzance au IVe siècle. Constantin, le premier empereur chrétien qui a ouvert le chemin au christianisme en tant que religion d’Etat, transfère sa résidence de Rome à Constantinople en 330 y créant ainsi le centre de l’Empire byzantin. La capitale du nouvel Empire devient le berceau de la peinture d’icônes.

Il n'y a guère de peinture plus codifiée que celle des icônes, images de foi. Elles sont conçues en sept étapes, comme la Création, uniquement sur du bois, en référence à la croix. Les pigments sont un mélange d'apports animaux, végétaux et minéraux, les fonds sont toujours de couleur or, qui symbolise la lumière éternelle et les cieux. Les visages sont bruns, couleur de l'humus, le vert manifeste le renouveau, il est réservé aux prophètes et le rouge aux habits royaux. Quant au bleu, c’est la couleur de la Vierge. Si les corps sont allongés, c'est qu’ils équivalent à neuf fois la taille de la tête, contre sept dans l'art occidental. Enfin, la représentation est comme immatérielle : les bouches sont fermées sur le monde intérieur, elles ne doivent s’ouvrir que pour parler de Dieu, et les cous gonflés, car emplis de l’Esprit-Saint, qu’ils retiennent.

Saint Serge à cheval ; avec la donatrice agenouillée ; vers 1260

Tempera et or sur bois ; 28,7 x 23,2 cm

Saint Serge, jeune et imberbe, monte un cheval sellé à l'occidental ; il brandit un étendard croisé et tient les rênes de sa monture. Galopant vers la droite, le cheval semble s'être figé sur place, tandis qu'une figure féminine, une veuve ou une mère peut-être, saisit le pied du saint pour le baiser. Le bouclier rond de Serge est visible dans son dos, comme sur d'autres icônes du même type. Son armement - un arc composite dans une gaine noire et six flèches, rangées pointes en haut - est semblable à celui d'une autre icône conservée à Sainte-Catherine. Serge est ici représenté en turcopole croisé. Le style vénéto-byzantin de cette icône, caractérisée par la clarté et la précision des lignes, peut être associé à celui d'un atelier de Saint Jean d'Acre.

La crucifixion ; Tempera et or sur bois ; fin du XIIIe siècle ; 33,7 x 26,6 cm

Motifs byzantins (inscriptions en grec plutôt qu'en latin, ainsi que l'identification du Christ au "Roi de Gloire" et non au "Roi des Juifs") et motifs occidentaux (notamment les trois clous crucifiant le Christ) sont combinés dans cette émouvante image de la Crucifixion. L'émotion outrée de Marie-Madeleine (en haut à gauche), la Vierge en pâmoison n'existent pas auparavant dans l'art byzantin. L'une des premières images d'une Vierge en pâmoison se trouve dans un missel franciscain de 1254 produit à Venise, sur lequel, comme sur l'icône du Sinaï, on retrouve les soldats, notamment le centurion avec son petit bouclier. Il est probable que le mélange des motifs byzantins et occidentaux se soit établi grâce à des œuvres amenées en Orient par l'ordre franciscain.

Sainte Catherine d’Alexandrie ; Tempera et or sur bois ; début XIIIe siècle ; 73,5 x 51,4 cm

Parmi les icônes exposées, celle de sainte Catherine d’Alexandrie en costume et couronne royales, avec des scènes de sa passion retrace les épisodes de son martyre. Jeune aristocrate lettrée, elle fut martyrisée et décapitée sous le règne de l’empereur Maxence (qui gouverna de 306 à 312) pour avoir refusé d’abjurer sa conversion au christianisme, à Alexandrie en Egypte. C’est au XIIIe siècle que sainte Catherine d’Alexandrie fut associée au Sinaï. Les traditions grecques et latines rapportent que le corps de la sainte a été emporté par des anges depuis le lieu de son martyre à Alexandrie jusqu’au sommet d’une montagne proche du mont Sinaï où elle fut ensevelie. Puis ses reliques ont été descendues dans la basilique et elle devint la sainte patronne éponyme du Monastère qui avait été dédié à la Vierge depuis sa fondation.

COMPLEMENTS : La figure de Catherine montre une attention plus grande portée au détail. Le vêtement, contemporain de la facture, est byzantin, bien qu'on puisse établir des similitudes, pour ce qui concerne le "thorakion" (à l'origine un corselet progressivement enrichi de broderies, qui deviendra, prenant la forme d'un bouclier, un élément typique du costume de l'impératrice), ici détaché et orné d'une croix à double croisillon. De fait, cette Catherine ressemble plus aux images de la reine Tamar de Géorgie, elle-même dérivant d'un modèle byzantin, qu'à aucune impératrice de la même période. L'histoire de Catherine du mont Sinaï : les traditions grecque et latine rapportent toutes deux que le corps de la sainte a été emporté par des anges, depuis le lieu de son martyre à Alexandrie jusqu'au sommet d'une montagne proche du mont Sinaï, où elle fut ensevelie. Mais sa vénération en Orient, bien que répandue, ne fut jamais particulièrement marquée, et le monastère su Sinaï, fondé par Justinien (527 - 565) ne lui fut certainement pas consacré au départ. Avant le début du XIIIe siècle, aucune source grecque ne mentionne des reliques de la sainte conservées au monastère. Catherine faisait l'objet d'une vénération bien plus grande en Occident et il est fort possible que ce soit des pèlerins occidentaux au Sinaï, arrivant au monastère avec l'espoir d'y trouver ses restes, qui aient incité les moines à situer les reliques de la sainte au sommet de la plus haute montagne de la région puis à les redescendre dans la basilique. Le monastère du Sinaï, dédié à la Vierge depuis sa fondation, au VIe siècle, commence à être mentionné sous le nom de Sainte-Catherine au début du XIIIe siècle, par les Latins ; il ne le sera pas avant le XIVe, voire le XVe siècle par les Grecs.

Sainte Théodosie ; Tempera sur bois ; première moitié du XIIIe siècle ; 33,9 x 25,7 cm

Malgré des origines historiques floues, le culte de sainte Théodosie connut une grande popularité à partir du XIIe siècle, comme en témoigne les "encomia" (louanges) en son honneur et les pèlerins qu'attiraient à Constantinople ses reliques miraculeuses. Théodosie fut l'un des personnages marquants de la période iconoclaste ; elle aurait mené le mouvement de résistance à la destruction de l'icône du Christ qui ornait la Porte de bronze (finalement ordonnée par Léon III). Le prestige que lui valut cet épisode est probablement cause de sa présence récurrente dans les représentations du Triomphe de l'Orthodoxie.

COMPLEMENTS : Connu pour avoir peint le premier portrait de la vierge et de l'enfant Jésus, saint Luc est popularisé au XIIIe siècle, en Occident mais aussi dans l'Empire byzantin. À cette époque, les peintres prennent conscience de leur qualité d'artiste et font de lui leur protecteur.

Les croisades attirent de nouveaux commanditaires aux peintres d'icônes. Ils quittent les ateliers de Constantinople, voyagent et entrent en contact avec l'art occidental. De nouveaux ateliers se créent en Méditerranée orientale, et les canons byzantins se conjuguent avec les traditions toscane, vénitienne, franque...

Les peintres n'intègrent pas seulement aux icônes des points spécifiques à la tradition religieuse occidentale. Ils renouvellent les représentations en les enrichissant. De part et d'autre de la croix, Marie et Jean ont le visage creusé par les larmes, les anges dissimulent dans leurs mains leur visage douloureux. Ailleurs, Marie s'évanouit tandis que Marie Madeleine lève les bras vers le ciel. L'expression de la douleur était étrangère aux représentations byzantines.

L'Empire byzantin se tourne quant à lui vers son passé et l'art de la Grèce antique. La réalité des corps transparaît derrière les drapés. Dans un hexaptique du XIVe siècle représentant les grandes fêtes liturgiques, les silhouettes des saints personnages sont délicates et minutieuses.

Les volumes sont dessinés avec clarté et les attitudes naturelles, même lorsqu'elles sont difficiles à reproduire. Derrière les personnages, le peintre s'attache à représenter un décor architecturé, une nature paisible ou agitée par le vent. Dans une icône des saints Théodore et Demetrius à cheval, le peintre rompt avec la frontalité des portraits de saints et imprime aux montures et aux deux cavaliers trapus un mouvement tournant...

La liberté du peintre n'est pas infinie mais elle peut le pousser à rajouter, comme ce peintre du XVIIIe siècle, sur le costume ecclésiastique d'un saint Nicolas sculpté dans un fragment de stéatite, de microscopiques fleurs inspirées des textiles ottomans.

Au terme de l'iconoclasme, le dogme de l'incarnation a fait triompher les défenseurs des icônes. Le Christ représenté est celui qui a eu un corps, une vie terrestre.

Le peintre d'icônes ne l'abstrait donc pas de cette vie terrestre, quoique son œuvre soit symbolique et stylisée. L'incarnation sous-tend les représentations de la Vierge portant l'enfant Jésus. Infiniment variées, elles sont différenciées par les positions de la Vierge et de l'enfant et nommées d'après ces caractéristiques, ou prennent le nom du lieu où elles sont apparues et devenues populaires.

Certaines icônes signifient, de façon charmante, l'humanité de Jésus, comme la très rare représentation de la Vierge allaitant (Galaktotrophousa). Ailleurs, Jésus embrasse sa mère, lui caresse la joue ou, confiant, s'abandonne (Vierge Kardiotissa - qui a du cœur).

(1) La plupart de ces icônes de ce monastère sont venues de Constantinople, déposées par des moines qui souhaitaient les préserver de la destruction. En effet, vers le milieu du VIIIe siècle a eu lieu une grave crise autour de la signification de l'image, l'église de Rome soupçonnant les grecs d'idolâtrer les icônes et d'oublier où était la vraie foi. C'est la crise iconoclaste, durant laquelle un grand nombre de ces trésors furent détruits. Aussi, le monastère, qui dépend du patriarcat de Jérusalem, possède-t-il aujourd'hui une collection unique de près de 2 000 images saintes, offertes au fil des siècles par des pèlerins donateurs ou exécutées sur place. Soit la moitié des icônes qui existent dans le monde entier. Sans compter une fabuleuse bibliothèque abritant la plus grande collection de manuscrits enluminés après celle du Vatican : 3 300 volumes.

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