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Le roman de Baïbars, un classique arabe anonyme

Publié le par Jean-Yves Alt

Le roman de Baïbars est un cycle narratif populaire que les conteurs arabes transmettaient oralement, à raison d'un épisode chaque soir, aux clients des cafés d'Alep et du Caire.

Ce roman s'inspire d'un personnage historique réel : un sultan mamelouk qui régna sur Le Caire et Damas au XIIIe siècle, lutta contre les croisés et participa même à la capture, en 1250, du roi Saint Louis. Au XIXe siècle, quelques érudits eurent l'heureuse idée, avant que les conteurs ne disparaissent complètement, de recueillir par écrit cet interminable conte : 400 fascicules et 36000 pages.

● Le premier tome, intitulé Les Enfances de Baïbars, présente le héros principal de ce cycle romanesque. Nous le découvrons jeune esclave, en train d'agoniser, victime de terribles crises de dysenterie, au fond d'un hammam. Acheté par un émissaire du sultan, adopté en route par une riche veuve de Damas, cet étrange et beau jeune homme, marqué au front de quelques taches de petite vérole, est reconnu par certains élus comme l'envoyé qui, selon la « Prophétie écarlate », « sera un jour roi d'Egypte, de Syrie et de tout l'Islam ».

● Le second volume, Fleur des Truands, fait apparaître l'opposé de Baïbars, le plus grand voyou du Caire. Spécialiste du vol, du viol des garçons et du crime, Otmân, terrorise toute la ville, jusqu'au jour où il rencontre le pur Baïbars et se met à son service. Les deux hommes vont former un couple aussi soudé et dissemblable que le jour et la nuit. Il fallait cependant au pieux Baïbars cet « accouplement » avec Otmân pour que la prophétie se réalise. Sous l'influence de son maître, qu'il appelle « le soldat », Otmân, jusqu'alors franc soudard sans dieux ni lois, appliquera les préceptes de l'Islam. Mais il aura toujours beaucoup de mal à résister aux tentations de sa nature profonde.

● Le troisième tome, Les Bas-Fonds du Caire relate les vicissitudes de Baïbars face aux nombreuses corruptions qu'il doit combattre… Otmân, l'ex-truand repenti, ayant été prévenu que son rival Harhach et 40 de ses hommes sont sur le point de piller le palais de Baïbars, va déjouer leurs plans. Vainqueurs, Otmân et ses alliés sont sur le point « d'enfiler » leurs victimes. Mais Baïbars, alerté par les cris, intervient in extremis. (lire l'extrait ci-dessous) On s'aperçoit bien vite dans ce conte, que s'il est constamment, et jusqu'à l'obsession, question de sodomie, on s'arrête toujours avant.

■ Les Enfances de Baïbars (tome 1), Traduit de l'arabe et annoté par Georges Bohas et Jean-Patrick Guillaume, Editions Actes Sud, Collection Babel, 1999, ISBN : 2742717684

■ Fleur des truands (tome 2), Traduit de l'arabe et annoté par Georges Bohas et Jean-Patrick Guillaume, Editions Actes Sud, Collection Babel, 1999, ISBN : 2742717692

■ Les bas-fonds du Caire (tome 3), Traduit de l'arabe et annoté par Georges Bohas et Jean-Patrick Guillaume, Editions Actes Sud, Collection Babel, 1999, ISBN : 2742717706

■ La chevauchée des fils d'Ismaïl (tome 4), Traduit de l'arabe et annoté par Georges Bohas et Jean-Patrick Guillaume, Editions Actes Sud, Collection Babel, 1999, ISBN : 2742717714

Extrait des Bas-Fonds du Caire :

Les quarante gaillards se précipitèrent, plus rapides que l'incendie, et se ruèrent de toutes parts sur ceux de Harhach. « A moi les enlukés ! » cria Otmân. Les mamelouks sortirent de leurs chambres, armés de pied en cap, et se mirent un peu à l'écart en attendant la suite.

Pendant ce temps, l'osta Otmân avait étendu Harhach d'un coup de bâton sur l'échiné. « Ligotez-le, les gars ! » dit-il. On le garotta aussitôt. Les quarante truands de la bande d'Otmân ne tardèrent pas à maîtriser eux aussi chacun son adversaire. Ils cédèrent alors la place aux quarante de la bande d'Oquereb, qui sortirent de l'écurie avec des cordes et ligotèrent chacun un des hommes de Harhach.

Ce fut alors au tour des mamelouks d'intervenir : ils retournèrent les prisonniers face contre terre et s'assirent dessus, à raison de deux mamelouks pour un truand, l'un sur le dos, l'autre sur les jambes. « T'as bien l'bonsoir, Harhach ! s'écria alors Otmân. Alors, l'ami, paraît qu'je suis un trou du cul ? Eh ben, cette nuit, tu vas voir qui c'est, le trou du cul ! Eh, l'fils à la Grande, viens m'le mettre en position ! » Celui-ci s'exécuta sur-le-champ.

« - Bon, les gars, reprit Otmân, préparez-vous à faire ce que vous avez à faire.

- Mais qu'est-ce que tu vas nous faire, Otmân ? gémit Harhach.

- Ben, écoute donc, on est quarante et un... et si y'en a qui veulent remettre le couvert, tant mieux pour toi ! »

Sur ce, il s'avança et lui souleva ses vêtements : il apparut plus crasseux qu'une vieille cheminée.

« - Je t'en supplie, Otmân, par ton honneur ! gémit Harhach.

- Qu'est-ce que tu viens me parler d'honneur, eh lopette ! » répondit Otmân ; et, tirant de son pantalon quelque chose qui devait faire deux pieds de longueur, il s'approcha de lui.

Pendant ce temps, tous les hommes d'Otmân s'étaient eux aussi mis en position et s'apprêtaient à empapaouter ceux de la bande de Harhach ; ils n'attendaient que le signal de leur chef.

Tout ce vacarme avait fini par réveiller Baïbars. (...)

« - Mon Dieu, mon Dieu, mais qu'est-ce qui se passe ? » se demandait-il. Il criait, il criait, personne ne lui répondait. Il finit par monter sur la plus haute terrasse, qui surplombait le bâtiment extérieur ; il jeta un coup d'œil... que Dieu nous préserve d'un tel spectacle !

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