Art éphémère : Christo et Jeanne-Claude m'emballent et m'ouvrent leurs portes...
Les œuvres de Christo et de Jeanne-Claude sont comme les fleurs : elles sont sans pourquoi. Elles sont là, éphémères et pourtant elles restent dans ma mémoire...
Vingt-six ans qu'ils en rêvaient ! À New York, le 12 février, Central Park se réveillait parcouru par 7500 portiques tendus de toile safran. Un véritable chemin lumineux.
"The Gates" est le dix-neuvième projet de Christo.
Trente-sept autres n'ont pu être réalisés, faute de permission. Le point commun de toutes ces installations est l'éphémère. D'habitude, l'œuvre reste en place quatorze jours. A New York, il y aura deux jours de plus, "parce que c'est notre ville", dit Jeanne-Claude, et que cela permet d'avoir un week-end supplémentaire.
La première et la seule fois que j'ai vu - en vrai - une œuvres de Christo et Jeanne-Claude c'était à Paris en 1985 quand ils avaient emballé le Pont-Neuf. Depuis, je suis régulièrement le travail qu'ils mènent dans les quatre coins du monde.
Les deux artistes habitent le quartier de Soho à New-York. Jeanne-Claude, la Française, née Jeanne-Claude Denat de Guillebon, le 13 juin 1935 à Casablanca, et Christo Javacheff, le Bulgare, né à la même heure que sa femme, le même jour, la même année, à Gabrovo, sont tous deux naturalisés citoyens américains.
Avec du tissu, ils créent des œuvres éphémères, jetant leur dévolu tantôt sur un paysage (1983, les îles de la baie de Biscayne, en Floride, entourées de polypropylène rose), sur un pont (1985, le Pont-Neuf, à Paris), ou encore un monument (1995, le Reichstag, à Berlin) et en février dernier un parc. À Central Park, au cœur de Manhattan, du 12 février dernier et pendant seize jours, a été présenté « The Gates », un parcours de 37 kilomètres ponctué de portiques tendus de toile safran.
Les œuvres qu'ils construisent, doivent demander sans doute beaucoup de patience et relèvent aussi de la passion car ils doivent souvent « se battre » contre les hommes pour faire accepter leurs projets. Les deux artistes ne s'intéressent jamais deux fois à un même lieu. L'œuvre, le lieu et l'image sont toujours uniques. Leurs projets sont toujours entièrement autofinancés par la vente des dessins préparatoires, des photographies, les expositions sur les dessins préparatoires (permettant d'attirer les collectionneurs), les catalogues de leurs œuvres : «Les réalisations destinées à l'extérieur sont signées par Christo et Jeanne-Claude, les dessins par Christo »
« Le terme « Gates » fait référence aux ouvertures dans le mur qui entoure Central Park. Conçu et dessiné par Frederick Law Olmsted et Calvert Vaux, ce parc public, entièrement artificiel, devait initialement être fermé la nuit par des portails forgés, illustrant des thèmes épiques.
Les projets n'ont pas plu à Olmsted et ces portails n'ont jamais été réalisés. Les ouvertures ont gardé leurs noms, comme « The Gates of Emigrants » ou « The Gates of Ail Saints ». C'est en souvenir de cette histoire que nous avons nommé notre installation « The Gates ». Chaque poteau de nos portiques était rectangulaire et représentait la grille des blocs d'immeubles qui entourent Central Park. C'était pour être en harmonie avec le dessin sinueux des chemins du parc que nous avons choisi de suspendre une toile suffisamment longue et souple, qui puisse onduler dans le vent et créer une sorte de rivière lumineuse, ce qui nous a amenés à choisir cette couleur safran. »
Le projet du Reichstag a été refusé trois fois et «The Gates» a été présenté à la ville, pour la première fois, en 1979 : il y a vingt-six ans ! À ses débuts, cette idée a déclenché les foudres de la Central Park Conservancy, un conseil de citoyens chargé d'administrer le parc. Aujourd'hui, si « The Gates » voit le jour, c'est grâce à la complicité du maire, Michael Bloomberg.
À Central Park, le compte à rebours a commencé le 1er décembre dernier. Ce jour-là, à bord de 380 camions venus de l'usine du Queens, ont été livrées les bases d'acier servant de support aux portiques, entreposées sur des voies sans issue, dans le parc. Le 3 janvier, des ouvriers ont disposé ces 15 000 socles de métal - 5000 tonnes au total, soit les deux tiers de l'acier utilisé pour construire la tour Eiffel - sur les emplacements prévus à cet effet, marqués au sol par des dessins de feuilles d'érable, emblèmes de Central Park.
Le 7 février, la météo le permettant (un élément toujours capital dans leurs installations), 600 manutentionnaires, habillés avec de grandes tuniques « The Gates », ont élèvé les 7500 portiques de vinyle, hauts d'environ cinq mètres et placés à quatre mètres d'intervalle. Le 12 février, grâce au temps clément, les toiles de nylon orange ont pu être déployées.
« C'était une sorte de chemin lumineux. Lorsque le soleil brillait derrière les toiles, elles étaientt d'un jaune doré. Les parties à l'ombre devenant presque rouges. »
Une fois l'installation terminée, comme à chaque fois, l'œuvre a échappé aux deux artistes. Pendant seize jours, ce fut alors au tour des New-Yorkais et des visiteurs de saisir la magie d'instants éphémères. Comme j'aurais aimé être là-bas...
Le monde entier emballé
1935. Naissance de Christo Javacheff à Gabrovo (Bulgarie).
1952-1956. Christo étudie aux Beaux-Arts de Sofia. Il est chargé d'aménager les abords du train Orient-Express afin de donner aux passagers occidentaux une image riante de la Bulgarie. Ce travail de propagande sur le paysage est déterminant pour la suite de son œuvre.
1958. Arrivée à Paris. Rencontre sa femme, Jeanne-Claude.
1961. Entassement de fûts dans le port de Cologne.
1962. Barricade à Paris, constituée de 200 barils vides. L'œuvre s'intitule Rideau de fer (ci-contre à gauche).
1968. La Kunsthalle de Berne est emballée.
1972. Une vallée du Colorado barrée d'un rideau rouge (ci-contre à droite).
1983. Onze îlots de Floride cernés de robes fuchsia.
1985. Le Pont-Neuf emballé à Paris.
1995. Le Reichstag emballé à Berlin.
1998. Les arbres de la Fondation Beyeler emballés à Bâle.
Et après ?... habiller la rivière Arkansas
Le prochain projet du couple a déjà un nom "Over the River". Il consistera à recouvrir la rivière Arkansas, dans le Colorado, sur 10 km. Le tissu formera une sorte de toit temporaire sous lequel pourront passer les embarcations. Christo et Jeanne-Claude ont commencé à repérer les lieux alors qu'ils travaillaient au projet à Berlin, en 1995. Ils ont cherché longtemps un lieu dont les rives sont suffisamment hautes pour pouvoir accrocher les câbles qui soutiendront le tissu. Le permis n'a pas encore été obtenu, mais les artistes espèrent pouvoir monter le projet en 2008 ou 2009.