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L'historien et l'esclavage [Vie et Mort des esclaves dans la Rome antique, Joël Schmidt]

Publié le par Jean-Yves Alt

On connaît mal le problème de l'esclavage dans l'antiquité. En particulier à Rome. Le livre de Joël Schmidt revient sur cette question et donne au problème toute son importance. Un sérieux coup d'actualité.

L'Antiquité a ceci contre elle: d'avoir été, pour la Grèce et pour Rome, une zone d'esclavage.

Sans parler, bien sûr, des autres régions où la pratique avait aussi ses usages et ses mœurs. La lecture d'un texte comme celui de Joël Schmidt (1), en un peu moins de 300 pages, parvient à nous donner le bilan de la servitude. Simplement consacré à Rome, il donne néanmoins à son sujet la valeur globale qu'on pourrait lui prêter : celle d'un livre consacré à l'ensemble du problème.

À Rome, contrairement à d'autres régions méditerranéennes, l'esclavage est plus récent. Mais il recouvre des problèmes qui touchent l'ensemble du phénomène. Ainsi, il concerne des femmes et des hommes qui sont issus de populations étrangères. Venu des conquêtes diverses, il va très vite se généraliser. Au point qu'à l'époque de la République puis de l'Empire il sera parfaitement intégré à la vie quotidienne du Romain. Émanant de plusieurs sources - notamment de la guerre ou de la piraterie -, il se plie aux impératifs d'une société parfaitement adaptée.

Il suit les contraintes d'une classe sociale, et se multiplie en fonction des besoins et des moyens : les patriciens auront des milliers d'esclaves, au point qu'ils ne sauront bientôt plus combien ils en ont. Il faut dire que les Teutons et les Cimbres, puis la Thrace, la Dacie, la Scythie, la Gétie, la Phrygie, etc., sont des régions qui fournissent le gros des troupes. Si bien qu'au Ier siècle avant Jésus-Christ, ils seront vendus par les marchands qui vantent leurs mérites.

Si l'acheteur n'est pas convaincu, il peut les toucher, voir si leurs muscles sont fermes, leur faire ouvrir la bouche pour regarder si les dents sont saines, vérifier l'état de leurs yeux. Bref, il a tout loisir de vérifier l'état de son achat. Le chef de la troupe dans les maisons patriciennes est le dispensator. On lui doit notamment l'embauche de ceux qui assureront la vie de la maisonnée. Depuis le comptable, le tisserand, le tailleur, jusqu'au pédagogue, au médecin, au cuisinier ou à l'affairiste. Mais, plus encore, les prostituées venues de Grande Grèce, de Syrie ou d'Egypte sont fort prisées pour leur beauté orientale ou leur lascivité. À Rome, elles s'installent dans les quartiers populaires, puis très vite au bas des remparts, aux abords des temples et des thermes.

Sans parler des amours ancillaires. Plutarque, avec le plus parfait naturel, mentionne les deux concubines esclaves avec lesquelles Crassus fut contraint de s'enfuir en Espagne. Sans parler de la passion qu'éprouva Scipion l'Africain pour l'une de ses esclaves, au point qu'à la mort de celui-ci sa femme accorda la liberté à celle qui avait su, sa vie durant, satisfaire les passions de son époux. Les empereurs eux-mêmes donnent l'exemple. Ils trompent leur femme avec des esclaves ou des affranchies. Suétone insiste particulièrement sur les amours raffinées de Vérus, frère de Marc Aurèle. Et Juvénal souligne la soif de plaisir qui excite la femme romaine.

Les emplois réservés, tels ceux de jeunes éphèbes éthiopiens, syriens, maures ou égyptiens, ont la cote dans les villas de Rome. Lucien nous conte l'histoire d'un homme qui n'est servi que par des garçons imberbes, d'une beauté exquise, et Catulle écrit une furieuse élégie contre le jeune Juventius qui a osé le tromper avec un homme de rien.

De nouveau, les empereurs sont friands de ces amours honteuses et abritent dans leurs palais de nombreux exemplaires de ces faux «innocents». Le plus redouté de ces esclaves est celui par lequel le maître essaie d'être un patron. Sénèque s'étonne qu'un Romain se lance dans une colère épouvantable à propos des menues fautes exécutées par l'un d'eux. De même l'empereur Auguste, qui avait été invité à festoyer chez Védius Pollion, un personnage obscur mais riche de l'époque, doit faire liquider tous les objets précieux de ce dernier pour sauver un échanson ayant par mégarde brisé une coupe de cristal.

Finalement, jusqu'à la révolte de Spartacus dans les années 70 avant notre ère, le monde a vécu dans le drame de l'esclavage. Lequel durera encore plusieurs siècles, puisqu'il faut attendre le XVIIIe siècle pour le voir définitivement aboli.

(1 ) ■ Vie et Mort des esclaves dans la Rome antique, Joël Schmidt, Albin Michel, avril 2003, ISBN : 222613686X

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J
L’esclavage, statut tristement universel<br /> A propos du livre d'Alain Testart : « L’institution de l’esclavage. Une approche mondiale » Edition révisée et complétée par Valérie Lécrivain. Gallimard, 384 pp., 27 €<br /> Abordant le thème de la servitude sous l’angle politique, l’ouvrage d’Alain Testart paru en 2001 fait l’objet d’une nouvelle édition augmentée.<br /> Longtemps, jusqu’au dernier quart du XXe siècle, l’esclavage n’a été envisagé que comme une forme de travail. Cette façon de voir s’explique sans doute par la grande importance accordée à la notion de travail dans la pensée occidentale qui juge bien souvent les autres civilisations à cette aune. C’est en particulier vrai du marxisme qui place le travail au cœur de ses analyses et aborde l’esclavage à travers la notion de mode de production esclavagiste.<br /> Dans cette nouvelle édition augmentée d’un ouvrage paru en 2001, Alain Testart, disparu en 2013, s’efforce de remettre la question juridique et politique au cœur de la compréhension de l’esclavage. Grâce à la constitution d’un corpus de données s’étendant à toute la planète, sa réflexion se veut résolument comparative, méthode peu habituelle aux anthropologues.<br /> Obéissance.<br /> L’esclavage est le phénomène social le plus répandu dans l’histoire et l’on sait aujourd’hui qu’il est attesté même dans les sociétés réputées les plus douces, comme celles de Mélanésie par exemple. Mais il prend des formes très variées et seule la comparaison entre civilisations - de l’Amérique du Nord à l’Océanie en passant par l’Afrique et l’Europe - permet, selon Alain Testart, d’en proposer une explication d’ensemble mais aussi de voir les limites de toute généralisation. Ainsi le fait que l’esclave travaille n’est pas une conséquence de sa condition. Plus qu’un phénomène économique, même si la servitude pour dettes occupe une place importante en Asie comme en Afrique, l’esclavage est d’abord une relation de pouvoir. «Sous l’esclavage gît toujours la question du pouvoir.»<br /> A l’inverse, une caractéristique commune est que l’esclave possède un statut, c’est-à-dire une place reconnue dans la société, à la différence du vagabond ou de l’étranger. Cela ne signifie pas pour autant que la frontière entre libres, esclaves et affranchis soit toujours claire. L’Antiquité classique, pourtant désireuse de classification bien établie, ne réussit jamais à définir sans ambiguïté les diverses formes de servitude et des statuts semblables peuvent, selon les sociétés, recouvrir des réalités diverses. Si la langue latine fait de l’affranchi un libre inférieur, la terminologie soninké en ferait plutôt un esclave supérieur. Au-delà du statut, l’obéissance absolue de l’esclave à son maître est un fait général. Alain Testart en donne une illustration saisissante avec l’exemple des morts d’accompagnement, coutume jusqu’ici peu étudiée et pourtant très répandue sur l’ensemble de la planète. Il s’agit de tuer des esclaves ou des concubines - mais pas les femmes régulièrement mariées - au décès de leur maître afin qu’ils l’accompagnent jusque dans la mort. On ne tue donc pas pour des raisons religieuses mais pour témoigner de la puissance du maître et lui assurer une vie agréable dans l’autre monde.<br /> Concurrence.<br /> Ce principe explique un autre paradoxe longuement étudié par Alain Testart : c’est dans les sociétés autoritaires, voire despotiques, que la condition de l’esclave est la moins mauvaise. La raison en est que les Etats forts ne veulent pas de la concurrence de puissants maîtres possédant une autorité illimitée sur leurs esclaves. Le sort des esclaves romains est ainsi meilleur sous l’Empire qu’à l’époque républicaine et les morts d’accompagnement disparaissent très tôt en Chine, dès le Ve siècle avant J.-C., ou en Mésopotamie, mais se maintiennent en Afrique noire en dehors de l’islam jusqu’à la fin du XIXe. Les voies du progrès social sont parfois impénétrables !<br /> Libération, Jean-Yves Grenier, 25 juillet 2018
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