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Je t'écris pour te dire, Natalia Ginzburg (1973)

Publié le par Jean-Yves Alt

Dans ce roman dont le titre italien est Caro Michele (Cher Michel), une mère découvre que son fils (Michel) mystérieusement disparu en Angleterre est homosexuel. C'est par un réseau d'amitiés que se fait la révélation.

Le livre s'ouvre symboliquement sur un paysage de neige. Dans une grande maison isolée aux environs de Rome, Adriana écrit à son fils Michel.

Ce roman – largement constitué de lettres des différents protagonistes décrit un climat familial éclaté et dispersé ; avec un ton humoristique, humble et caustique, rieur et tendre, naïf et généreux.

Aucune vraie catastrophe n'est pourtant intervenue. Simplement, les personnages ont perdu la clef d'un langage commun. Il s'agit d'un malentendu général.

« Quelquefois j'ai la nostalgie de vous, c'est-à-dire de ceux que j'ai coutume d'appeler "les miens" même si vous n'êtes en rien "miens", pas plus que je ne suis "vôtre". Mais si je venais, vous m'observeriez, j'aurais vos regards fixés sur moi. En ce moment, je n'ai pas envie d'avoir vos regards fixés sur moi. Inutile d'ajouter que, comme je viendrais avec ma femme, vous observeriez aussi ma femme avec attention et vous vous efforceriez de pénétrer la nature et la qualité de nos rapports. Cela non plus je ne pourrais le supporter. J'ai également une grande nostalgie de mes amis, de Gianni, d'Anselmo, d'Oliviero et d'autres. Ici je n'ai pas d'amis. Et j'ai aussi la nostalgie de certains quartiers de Rome. Pour d'autres quartiers, d'autres amis, la répulsion se mêle à la nostalgie. » (Lettre de Michel à sa sœur Angelica – p. 139)

Maris et femmes, mères et enfants, jeunes gens ou amis monologuent sans espoir de toucher l'interlocuteur puisque dans leur solitude, ils ne réussissent même pas à justifier leur existence à leurs propres yeux.

La romancière fait apparaître sans heurt, avec la bonhomie railleuse qui étouffe les drames en famille, le personnage homosexuel. Les rapports psychologiques ne sont pas analysés. Natalia Ginzburg préfère la description ironique de situations quotidiennes à peine caricaturées.

À mesure que les êtres se figent et se pétrifient (qu'ils ressassent le passé ou qu'ils foncent, sans se retourner, vers un avenir d'insécurité et de mort), ce qu'il y a en eux de chaleureux et de vivant, qui n'a pas trouvé le chemin du discours, passe dans les objets. Survivants de quelque naufrage, les objets sont seuls capables de signifier les sentiments et les relations humaines dans leur vérité : un poêle allemand, un tapis sarde, des couvertures aux teintes pastel, une veste brodée de dragons d'argent et, flottant au-dessus des autres épaves, un vieux chandail en loques accroché à un balai, étrange, glaciale et désespérante consolation (p. 191), mot de passe pour l'avenir ? – la dépouille ou l'âme de Michel.

L'homosexualité participe à la définition d'un nouvel ordre quasi-familial et l'amitié est le moteur de l'écriture romanesque.

« J'entends encore sa voix. Comme on s'aimait quand on était petit. On jouait avec mes poupées à la maman et à l'enfant. J'étais la maman et lui ma petite fille. Il aurait aimé être une fille. Il voulait être en tout semblable à moi. Mais après, il ne me trouvait plus à son goût. Il me méprisait. Il me reprochait d'être une bourgeoise. Qu'est-ce que j'aurais pu être d'autre ? Après, il n'en avait plus que pour toi. J'étais affreusement jalouse. Tu dois certainement avoir tant de souvenirs de lui. Vous vous voyiez tout le temps. Tu étais l'amie de ses amis. Moi je ne les connaissais que de nom. Gianni, Anselmo, Oliviero, Osvaldo. J'ai toujours désapprouvé cette amitié avec Osvaldo. C'était une amitié de pédérastes. Inutile de se le dissimuler. On le comprenait rien qu'à les voir. […] Moi je n'arrive pas encore à digérer le fait que Michel soit devenu pédéraste. Michel dirait que je suis conformiste. (Parole de Viola à sa sœur Angelica au sujet de son frère Michel – p. 186)

Les familles oublient parfois qu'elles accueillent les déviances et les déviances qu'elles recherchent les familles.

■ Je t'écris pour te dire, Natalia Ginzburg (1973), Éditions Flammarion, 1992, ISBN : 2080607596


Du même auteur : La ville et la maison

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