Nocturnes pour le Roi de Naples, Edmund White
Je me demande ce qu’il convient de dire sur ce livre hors du commun pour donner envie de le lire, surtout qu’il ne repose que sur le style et que l’intrigue est inracontable tant elle est embrouillée.
Ce qui prime avant tout avec cet auteur, c'est l'écriture :
« Le maître-nageur m'invite à le rejoindre dans sa tour minuscule pour échapper à la pluie. Il ferme la porte, il me regarde. Du coin de l'œil, j'aperçois sur l'étagère une trousse de premiers soins, une corde enroulée, un produit anti-moustique et une crème contre les coups de soleil, mais aussi une montre avec son bracelet défait, un nez couvert de peinture et une bouche, un torse clair, un pli qui gonfle, des genoux qui enlacent, des mollets de coq dont les poils font éclater la blondeur dans l'obscurité, l'un des mollets de coq est tendu pour mettre son corps en relief et précipiter le mien dans un état de confusion ; sur mes lèvres je sens la fraîcheur qui dissimule de la chaleur, comme de l'ambre sur des roses, au moment précis où le parfum de l'huile de coco vient masquer l'odeur de la sueur tandis qu’il tend le bras afin de m'enlacer. Il y a quelqu'un dehors : ma mère, encapuchonnée, debout dans la pluie. Elle me ramène à la maison. Ses ongles s'enfoncent douloureux, dans mon poignet bronzé... »
L'intrigue est certes mince, presque inexistante, juste la confession d'un adolescent en mal de vivre. Juste une longue lettre, un long poème par lesquels le narrateur, après la rupture d'une passion, tente de débroussailler l'écheveau de sa mémoire et de se rapprocher de l'être aimé dans l'espoir de comprendre ce qui fait que, dès son plus jeune âge, il s'est senti attiré par des «hommes intouchables et incontrôlés», que ses amants ne sont que des ersatz de père et que, la nuit, il hante les docks ou les bars et en revient toujours avec, au fond du cœur, comme un remords, comme le sentiment d'avoir commis l'irréparable.
Mais qu'y a-t-il à regretter lorsque l'on sait n'être fidèle qu'à l'amour ? Et que peut-on espérer de l'avenir lorsque l'on sait le bonheur n'appartenir qu'au passé ? Proust qui souffrait d'un mal identique a écrit quelques milliers de pages sur le sujet et cela s'appelle « À la recherche du temps perdu. »
Ces « Nocturnes pour un roi de Naples » sont comme un sombre labyrinthe où quelqu'un se raconte, se perd dans sa confrontation avec les êtres qui ont compté dans sa vie pour finir par en mesurer amèrement le naufrage.
■ Nocturnes pour le Roi de Naples, Edmund White, Editions de L’Olivier, 1997 (réédition), ISBN : 287929150X
Du même auteur : La tendresse sur la peau - Un jeune Américain - L'écharde (nouvelles avec Adam Mars-Jones) - Oublier Eléna - Le héros effarouché