Jiroft, un nouveau regard sur les origines de la civilisation orientale
Des découvertes archéologiques franco-américaines remettent en cause le fait que la Mésopotamie serait le foyer unique de la civilisation.
L'Iran, berceau du monde?
Des centaines de vases de chlorite, d’objets en lapis-lazuli, de statuettes de cuivre, de jarres... En mars 2001, dans l’Halil Roud, au sud-est du pays, des paysans ont déclenché une vraie bombe archéologique.
JIROFT : une ville perdue de la province de Kerman, au sud-est de l’Iran. Cernée sur trois côtés par des montagnes culminant à 4000 mètres, elle s’ouvre au sud-ouest vers le détroit d'Ormuz, sur le golf Persique. Protégé par ses barrières naturelles, le pays est resté à l’écart aussi bien des circuits touristiques que de la recherche archéologique tournée vers la Mésopotamie, à quelque 1000 km de là. Jusqu’au jour où, dans cette vallée de l’Halil Roud, sortent de terre d'abondants vestiges d'une civilisation à peine entrevue. L'originalité des vases sculptés, où affleure toute une cosmogonie du monde des humains et des animaux dans une parfaite homogénéité de style, ne laisse pas de doute aux archéologues quant à l'ancienneté et le raffinement de cette culture de l’Halil Roud. Elle se serait épanouie indépendamment des cités-États de Mésopotamie au IIIème millénaire avant Jésus-Christ, et devancerait ainsi celle de Sumer de quelques centaines d'années. Une culture plus ancienne que celle de Sumer, berceau de l'humanité, est-ce possible ?
Qui était l'homme de Jiroft ? Quels étaient ses croyances ? Connaissait-il l'écriture ? Tout reste très énigmatique pour le moment. Si les cimetières ont été détruits de façon désastreuse par les pillards, les zones d'habitations sont intactes. Plus d'une centaine de sites ont été répertoriés sur 400 km. «Il y a au travail pour trente ans », s'inquiète Youssef Madjidzadeh. La première campagne de fouilles, qui s'est déroulée en janvier 2003, a mis au jour des habitations de briques crues, un rempart annonciateur d'une énorme forteresse et une puissante construction de briques crues qui pourrait être une ziggurat ( tour à étages spécifique de l'architecture sacrée mésopotamienne, comme la tour de Babel).
Est-ce sur le plateau iranien qu'il faudra à l'avenir situer l'origine des ziggurats mésopotamiennes ?
Entretien avec Carl C. Lamberg-Karlovsky
► La culture du Halil Roud
-- Alors que le Halil Roud demeure quasiment inconnu des archéologues, nous avons quelques notions de l’archéologie de la région plus vaste dans lequel il coule. Dès les années 1930, l’archéologue explorateur britannique, Sir Aurel Stein, entreprit des explorations étendues et de petits sondages sur plusieurs sites au sud de l’Iran central, surtout autour de Bampur à l’est de l’oasis de Jazmurian. Au cours des années 1960 et 70, d’autres recherches archéologiques furent conduites à Tal-i-Iblis, aux confins septentrionaux du Halil Roud, à proximité de la ville moderne de Rafsanjan ; elles attestèrent d’importantes extractions de cuivre dès le IIIe millénaire avant J.-C.
► La civilisation proto-élamite (3100-2600)
-- Si les plus anciennes fouilles de Suse ont fourni les premières tablettes proto-élamites, ce sont les derniers travaux effectués sur ce site qui ont permis de comprendre le développement de l’écriture proto-élamite et de situer chronologiquement le phénomène.
► L'origine orientale de la ziggurat
-- La ziggurat, cette curieuse construction formée de plusieurs étages de grandeur décroissante, a été considérée, par la plupart des archéologues du Proche-Orient, comme un élément fondamentalement mésopotamien. Selon ces spécialistes, la plus ancienne daterait du roi Ur-Nammu (2112 - 2095 avant J.-C.), le fondateur de la troisième dynastie d'Ur.
► L'iconographie de Jiroft
-- L’ornementation des vases de Jiroft traduit l’idée que les hommes du plateau sud-iranien se faisaient, il y a 5 000 ans, du monde qui les entourait et de leur place à eux dans ce monde. À travers les images qu’ils nous ont laissées sur les vases et autres objets placés auprès de leurs morts, nous pouvons entrevoir à la fois le milieu naturel (Identifier ces plantes dessinées sur ces vases, et décrire le climat dont elles sont le témoin, permettrait de mieux comprendre comment et pourquoi cette civilisation est apparue dans cette région reculée), les paysages dans lesquels ils ont vécu et un reflet de leur imaginaire, de leur pensée : Jiroft nous offre un jalon précieux sur les traces de la marche des hommes vers la civilisation historique.
► Jiroft et Tarut sur la côte orientale de la péninsule Arabique
-- Tarut est une île basse à deux kilomètres de Qatif en Arabie Saoudite, au sud du terminal pétrolier de Ra’s Tannurah. Des sources artésiennes y permettent la culture de palmeraies, et les constructions anciennes reconnues sous le fort qui la domine attestent qu’elle fut très tôt habitée : certaines remontent au milieu du IIIe millénaire avant J.-C., voire avant. En 1962, les machines qui prenaient du sable pour construire une chaussée reliant l’île au continent firent une découverte archéologique majeure, passée inaperçue.
► La Mésopotamie et les échanges à longue distance aux IVe et IIIe millénaires
-- La Mésopotamie (et plus spécialement la plaine alluviale du Tigre et de l'Euphrate, dans le sud de l'Irak actuel) a été un grand foyer évolutif, c'est-à-dire un endroit où, de façon totalement spontanée, des sociétés ont évolué dans le sens d'une complexité croissante. En quelques millénaires (du VIIe au IIIe), de simples communautés villageoises se sont progressivement développées jusqu'à inventer l’État.
■ À lire : on retrouvera chacun des points évoqués ici dans la revue Dossier d’archéologie n°287 : JIROFT, fabuleuse découverte en Iran, Éditions FATON (25 rue Berbisey, 21000 DIJON), octobre 2003, 10€50