Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Un sentiment océanique, Mathieu Riboulet

Publié le par Jean-Yves Alt

Un homme de 34 ans est dans une chambre d'hôpital. Il s'appelle Paul et n'aura de cesse au cours des quatre-vingts pages de son récit familial de le répéter comme une revanche sur ceux qui, dans ces temps mal bénis de l'enfance et de l'adolescence, turent ce prénom détesté on ne sait trop pourquoi, et les « Dis à Paul... » devinrent des « Dis à ton fils... à ton frère... » quand ce n'étaient pas des silences.

Atteint d'une maladie chronique, inguérissable jusqu'à nouvel ordre, mais dont il ne mourra pas, du moins pas tout de suite, Paul met en parallèle les contraintes actuelles de sa maladie et un récit familial et sentimental qui le ramène vingt ans en arrière, à 14 ans, à la disparition de sa mère.

Ce sont ainsi ces deux moments qui donnent la force au texte. Avec le souci, semble-t-il, de ne pas trop égarer le lecteur, dès le départ l'auteur laisse son Paul se débrouiller avec son mal puis, petit à petit, en glissant des indices qu'on comprendra par la suite, il lui fait revivre cette disparition maternelle, finalement une première maladie elle aussi inguérissable, dépassant l'autre puis s'y mêlant.

La mère partie, le père perdu, on quitte la Somme pour Paris, et Gabrielle, la grand-mère maternelle, convoque les deux grand-tantes, Charlotte et Louise, pour s'occuper de Paul et de sa sœur aînée Marie. On grandit, on vieillit et Paul est amoureux :

« Cet amour des garçons, j'en avais été prévenu incroyablement tôt, à l'insu du monde et de sa rumeur, dans le silence des limbes, à l'aube des sentiments, très avant même que je ne sache mon nom : Paul. »

Enfermé dans ce gynécée, inutile d'aller trop loin pour faire ses classes sexuelles : Paul pique le "jules" de sa sœur, Bruno. Dans son lit d'hôpital, il repense à cet amour que n'importe quelle autre femme aurait transformé en crime. Est-on plus tolérant abandonné d'une mère ?

On peut se poser la question de savoir pourquoi Mathieu Riboulet a donné ce titre à son roman. Les pages consacrées à la mer sont peu nombreuses et pourtant elle semble comme omniprésente. La structure temporelle de ce roman laisse une impression de marée, de va-et-vient, tout comme le thème de la disparition de la mère appelle un retour. La maladie de Paul se soumet également à un rythme «océanique».

Le sentiment océanique pourrait être cette volonté d'une présence maternelle exclusive dont Paul est privé, à laquelle renvoie un désir d'absolution, de se diluer soi-même, de replonger dans le liquide amniotique : le fantasme d'une renaissance.

« Alors seulement, regagnant l'aire de halage dont mon questionnement m'a éloigné, je pourrai admettre que rien jamais ne sera résolu. Le regard rivé à l'insaisissable, sur le chemin du retour je cueillerai les garçons les plus âpres, me cuirassant de leur rugosité, à leur source puisant la force de marcher. La désolation en moi pourra s'éparpiller, me faisant grâce d'une cruelle concentration, pour devenir une de mes composantes. »

■ Un sentiment océanique, Mathieu Riboulet, Editions Maurice Nadeau, 1996, ISBN : 2862311367


Du même auteur : Le corps des anges de Mathieu Riboulet

Commenter cet article