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Sur l'homophobie par Eric Fassin

Publié le par Jean-Yves Alt

TOC : Justement, une loi sur l'homophobie distinguerait une forme de discrimination parmi d'autres. Cela peut servir, mais aussi desservir, la cause de l'égalité des droits. Est-ce que l'on ne s'éloigne pas un peu du droit à l'indifférence qui était revendiqué par de nombreux homosexuels, en s'éloignant de l'égalité des droits avec une loi spécifique ?

Éric Fassin : Il faut bien voir qu'il y a deux approches qui peuvent être complémentaires, mais qui peuvent aussi entrer en concurrence : on peut faire une loi contre l'homophobie ou bien s'interroger sur l'homophobie de la loi. Une loi contre l'homophobie suppose des individus homophobes : c'est une sorte de pathologie sexuelle inversée qu'il faut réprimer. Mais on peut renverser la perspective : qu'est-ce qui légitime cette homophobie ? Voilà qui oblige à réfléchir aux lois qui instituent le mariage et la famille. Considérer que dans notre société ces institutions sont tellement sacrées qu'il est essentiel de ne pas les profaner en les ouvrant à l'homosexualité, n'est-ce pas une homophobie d'État ? Donc, quand on parle d'une loi contre l'homophobie, faisons-nous seulement allusion au dérapage de quelques individus, évidemment condamnables, ou bien aux fondements sociaux, politiques et légaux de cette homophobie, autrement dit, à l'institution d'une hiérarchie des sexualités par l'État ? Songeons aux réactions d'homophobie très violentes qu'a suscitées Noël Mamère avec le mariage de Bègles. En fait, certains utilisaient la proposition de loi contre l'homophobie pour se dédouaner du soupçon d'homophobie que pourrait donner leur opposition à l'ouverture du mariage et de la filiation, et donner l'impression de faire quelque chose, au moment où ils refusent de toucher à l'essentiel.

TOC : J'aimerais revenir sur tous les cas limites d'homophobie qui pourraient se produire.

Éric Fassin : Ce sont plus que des cas limites à mon sens, c'est une définition radicalement différente. Si l'on acceptait la définition large selon laquelle on peut parler d'homophobie dès que l'on affirme que l'hétérosexualité, c'est mieux, autrement dit, dès qu'on pose l'inégalité des sexualités (de même que poser l'inégalité des races nous paraît raciste), on voit, en pratique, que ça concernerait presque tout le monde ! Qu'est-ce qu'une loi qui, potentiellement, toucherait tout le monde ? C'est une loi qui n'aurait aucune application.

TOC : Comment interprétez-vous le discours des gens qui sont favorables au mariage homosexuel et défavorables au droit à l'adoption par les couples homosexuels ?

Éric Fassin : Aux États-Unis, c'est la logique inverse : c'est le mariage qui est sacralisé. C'est un point important pour comprendre qu'il n'y a pas de raison absolue justifiant cette hiérarchie des valeurs. La hiérarchie française n'est pas universelle. Pourquoi la filiation est-elle plus sacrée que l'alliance aujourd'hui en France ? Une des réponses possibles est que la filiation est devenue un enjeu extrêmement important dans les débats sur la définition de la nationalité.

[Faut-il] interdire l'adoption par un célibataire, qui est légale depuis 1966 ? C'est la question que j'avais soulevée pendant le débat sur le Pacs : comment peut-on dire que le couple homme-femme est le fondement anthropologique de la civilisation alors qu'on autorise l'adoption par les personnes célibataires ?

Eric Fassin, sociologue, Ecole normale supérieure

in revue TOC (Trouble Obsessionnel culturel), n°7, décembre 2004, pp. 12 à 15, (extrait)

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