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L'obsession vaticane par Daniel Borrillo

Publié le par Jean-Yves Alt

L'idéologie familialiste de l'Eglise catholique a retrouvé des vieux ennemis : les gays, les lesbiennes et les féministes. Dans une récente lettre aux évêques, le Vatican a durement condamné la pensée féministe comme étant à l'origine de la guerre des sexes et de l'indifférenciation sexuelle. A vouloir s'éloigner de son destin biologique, la femme trahit, selon l'Eglise catholique, sa nature altruiste, "sa capacité physique à donner la vie" et son "sens et le respect des choses concrètes qui s'opposent aux abstractions".

À l'origine de cette dénaturation de la femme : le féminisme. D'après le Vatican, cette idéologie cause non seulement un préjudice aux femmes, mais elle a encouragé une "anthropologie qui entendait favoriser des visées égalitaires pour la femme en la libérant de tout déterminisme biologique, a inspiré en réalité des idéologies qui promeuvent par exemple la mise en question de la famille, de par nature biparentale, c'est-à-dire composée d'un père et d'une mère, ainsi que la mise sur le même plan de l'homosexualité et de l'hétérosexualité, un modèle nouveau de sexualité polymorphe". Nous voici donc, une nouvelle fois, face à la question qui obsède l'Eglise catholique depuis les épîtres de l'apôtre Paul jusqu'aux lettres du cardinal Ratzinger, en passant par les enseignements théologiques de Jean Chrysostome, Augustin, Pierre Damien et Thomas d'Aquin, parmi tant d'autres.

En janvier 2003, le Vatican avait déjà publié une Note doctrinale sur certaines questions concernant la participation des catholiques dans la vie politique, dans laquelle il appelle à voter contre les lois relatives à l'avortement, au divorce, à la reconnaissance des unions de même sexe... Mais, en ce qui concerne ces dernières, l'exhortation ecclésiastique semble à l'évidence insuffisante : un énième document, Considérations à propos des projets de reconnaissance juridique des unions entre personnes homosexuelles, paru un an avant la condamnation du féminisme, rappelle à nouveau la position traditionnelle de l'Eglise catholique. Position étonnante pour cette "experte en humanité", comme elle s'auto-qualifie, qui ne s'est jamais souciée de la violence domestique contre les femmes ou des crimes homophobes.

Bien qu'elle ait fait preuve d'un certain courage en demandant publiquement pardon à quelques-unes de ses victimes historiques, notamment Galilée, la communauté juive ou les anciens esclaves, l'Eglise ne s'est jamais repentie des atrocités commises contres les "sorcières" ou les "sodomites" ; bien au contraire, elle persiste à justifier les discriminations dont ils sont encore victimes. Dans ce document de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le Vatican souligne que les condamnations bibliques demeurent d'actualité. Rappelons-nous l'extrême violence des textes en question :

"L'homme qui couche avec un homme comme on couche avec une femme, c'est une abomination qu'ils ont tous deux commise, ils devront mourir, leur sang tombera sur eux"

(Lévitique, XX, 13)

"Des hommes de même, rejetant l'alliance des deux sexes, qui est selon la nature, ont été embrasés d'un désir brutal les uns envers les autres, l'homme commettant avec l'homme une infamie détestable, et recevant ainsi en eux-mêmes la juste peine qui était due à leur aveuglement"

(Epître de Paul aux Romains, I, 27).

La dernière version du Catéchisme renforce la position officielle :

"...la Tradition a toujours déclaré que les actes d'homosexualité sont intrinsèquement désordonnés, ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l'acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d'une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir l'approbation en aucun cas."

Lors du débat sur le pacs, les évêques de France ont qualifié la proposition de loi d'"inutile et dangereuse" en considérant que "seule la relation entre un homme et une femme peut être qualifiée de couple, car elle implique la différence sexuelle, la dimension conjugale, la capacité à exercer la paternité et la maternité. L'homosexualité ne peut pas, à l'évidence, représenter cet ensemble symbolique".

Alors que la majorité des pays de l'Union européenne dispose déjà de lois reconnaissant d'une manière plus ou moins étendue la vie affective des homosexuels, ceux qui sont sous l'influence du christianisme catholique ou orthodoxe peinent à faire évoluer leur législation dans ce sens. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement du côté du législateur que l'égalité des couples commence à gagner du terrain, mais grâce aussi à l'action de la Cour européenne des droits de l'homme. Au moment même où le Vatican publiait ses exhortations anti-homosexuelles, les juges de Strasbourg sanctionnaient l'Autriche en donnant raison à un homosexuel viennois qui n'a pas pu bénéficier du transfert du bail de l'appartement qu'il partageait avec son compagnon décédé du sida.

Force est de constater qu'un lobbying conservateur intense et permanent s'exerce dans toutes les instances du pouvoir politique. L'idéologie familialiste, cheval de Troie de l'Eglise catholique, a retrouvé de vieux ennemis : les gays, les lesbiennes et les féministes. Ennemis plus imaginaires que réels, car les dernières données statistiques montrent bien que le pacs n'a pas affaibli la famille hétérosexuelle. Bien au contraire, le nombre des mariages et le taux de natalité ne cessent d'augmenter en France. De même, les pays du nord de l'Europe ainsi que le Canada ont adopté des lois élargissant le droit au mariage ou à l'adoption d'enfants par des couples homosexuels sans pour autant négliger les politiques de soutien aux familles traditionnelles.

Face au dogme, il est vain d'argumenter. L'Eglise est "naturellement" homophobe et antiféministe. Cela n'a rien de nouveau. La nouveauté de l'offensive cléricale ne se trouve pas dans la violente condamnation de l'amour "contre nature", mais dans la manière dont l'Eglise exhorte les parlementaires et autres autorités politiques à intervenir contre les législations qui reconnaissent les unions homosexuelles, soit en exprimant leur désaccord s'il s'agit d'un projet de loi, soit en faisant en sorte que l'on abroge la loi ou que l'on limite ses effets, s'il s'agit d'un texte en vigueur.

Cette injonction à "s'opposer de manière claire et incisive" aux dispositions juridiques établissant une égalité entre les "familles normales" et les couples de même sexe constitue une ingérence grave du religieux dans le politique. Outre son caractère ouvertement anti-démocratique, cette incitation à la discrimination des citoyens du seul fait de leur sexe et de leur orientation sexuelle mine le socle sur lequel repose le principe de laïcité : l'Etat n'exerce aucun pouvoir spirituel et les Eglises aucun pouvoir politique.

La séparation des Eglises et de l'Etat est aujourd'hui un impératif plus que jamais nécessaire dans une Europe menacée par les intégrismes religieux, dont l'intégrisme le plus "familial", le plus "naturel" et le plus "traditionnel", celui qu'incarne l'autorité catholique.

Daniel Borrillo est juriste (Cersa/CNRS, université Paris-II).

Le Monde du 5 septembre 2004

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