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Programme commun pour l'homosexualité, par François Devoucoux du Buysson

Publié le par Jean-Yves Alt

Il y a quelques années, alors qu'elle venait de faire voter le PACS et de désigner un candidat ouvertement homosexuel pour mener la campagne municipale à Paris, la gauche considérait le thème de l'homosexualité comme son pré carré et n'hésitait pas à faire expulser de la Gay Pride les quelques élus de droite qui tentaient de se glisser en tête du cortège. Depuis les choses ont bien changé, comme l'a montré l'édition 2003 de la marche des fiertés.

En effet, si la gauche veille à rester en pointe sur une thématique homosexuelle qui lui permet à peu de frais de s'afficher dans le camp de la modernité et de l'émancipation, elle doit désormais tenir compte des ambitions de la droite en la matière. L'affluence croissante suscitée par la Gay Pride et l'élection de Bertrand Delanoë à la Mairie de Paris ont d'autant plus stimulé l'intérêt des partis de droite pour les questions relatives à l'homosexualité que l'indifférence de la société française à l'égard du PACS leur a fait prendre conscience qu'ils étaient tombés dans un piège en menant sur cette question une opposition frontale qui n'a pas échappé à la caricature.

Aussi l'UMP s'est-elle dotée d'un dispositif attrape-gays à travers des associations comme Gay Lib, qui regroupe une poignée de libéraux homosexuels, ou On est là !, fondée par l'ex-séguiniste Jean-Luc Romero. La lecture de la profession de foi d'On est là !, rédigée par Jean-Luc Romero avec, paraît-il, le soutien de l'Elysée, décoifferait d'ailleurs sans doute bon nombre d'électeurs de l'UMP. Parmi les propositions qui sont censées "déringardiser" la droite en lui permettant d'affronter des questions de société taboues, on relève pêle-mêle la création de "salles de shoot" où serait délivrée de l'héroïne sous contrôle médical, le droit à l'adoption pour les couples homosexuels, un "cours des différences de genre et d'éducation sexuelle de la sixième à la troisième" ainsi que la légalisation de l'euthanasie.

La droite n'a donc plus rien à envier à la gauche puisque ces propositions ne sont pas tellement différentes de celles formulées par Homosexualités et Socialisme, l'association se proposant de défendre au sein du PS les revendications du mouvement homosexuel, ou par la Commission nationale gais lesbiennes bi trans qui existe chez les Verts.

Comme celle de l'environnement il y a quelques années, la question de l'homosexualité a donc cessé d'être le monopole de la gauche et alimente désormais les programmes des partis de tous bords qui se disputent âprement une sorte de label rose. Il existe désormais sur la question de l'homosexualité une sorte de programme commun aux différents partis de gouvernement.

La gauche considère les gays comme l'avant-garde des fameux bourgeois bohèmes, ces couches urbaines salariées sur lesquelles elle compte s'appuyer pour conquérir le pouvoir dans un contexte d'abstention croissante des couches populaires. Mais cet étrange calcul visant à flatter une minorité dans le but de devenir majoritaire risque fort de se retourner contre la gauche. Tout indique en effet que la droite finira par récupérer l'électorat "bobo", dont le côté bourgeois résistera mieux à l'empreinte du temps que son mode de vie bohème. La gauche se leurre en croyant que les pratiques sexuelles des individus peuvent jouer un rôle déterminant dans leur comportement électoral au même titre que la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau des revenus. On a trop vite vu dans l'émergence des bobos l'élément clé de la victoire de la gauche aux élections municipales à Paris alors que ce phénomène est, dans la durée, de nature à favoriser le succès de la droite. Car là où la gauche croit déceler des dominés, il y a, en réalité, souvent des dominants. Sa fréquentation régulière des boîtes gays ne changera jamais rien au fait qu'un bourgeois se définit avant tout par les capitaux qu'il détient et les revenus qu'il perçoit. Un homosexuel bourgeois ressemble de plus en plus à un bourgeois homosexuel en vieillissant, et il est probable que les électeurs parisiens qui s'identifient au mouvement gay se montreront plus sensibles aux arguments politiques leur permettant de valoriser leur patrimoine immobilier et d'alléger leur fiscalité qu'à des controverses relatives à des droits qu'ils ne sont qu'une minorité à réclamer, comme le mariage ou l'adoption.

C'est sans doute ce qui explique que la droite multiplie les signes à destination des homosexuels. Ainsi les militants gays, qui n'avaient pas pu obtenir du gouvernement de Lionel Jospin le vote d'une loi antihomophobie qu'ils réclament depuis longtemps, ont eu la surprise d'obtenir partiellement gain de cause auprès du gouvernement de droite qui lui a succédé avec l'adoption par l'Assemblée nationale, le 21 janvier, d'un amendement aggravant les peines encourues pour les actes homophobes et défendu personnellement par Nicolas Sarkozy.

À cette occasion, le ministre de l'intérieur, dont on dit qu'il pourrait être le candidat de la droite face à Bertrand Delanoë en 2007, déclara devant les députés : "L'homophobie est un véritable problème. Ce n'est pas un fantasme. Elle existe et, malheureusement, elle se développe." En reprenant presque mot pour mot la rhétorique des associations gays, Nicolas Sarkozy a sans doute voulu leur indiquer qu'elles pouvaient désormais compter sur la droite pour obtenir satisfaction

Parodiant une phrase célèbre prononcée par Guy Hocquenghem pour saluer le ralliement du président Mitterrand aux thèses du mouvement homosexuel au début des années 1980, on aurait presque envie de s'écrier : "Homosexuels, vous avez changé de patron !"

François Decouvoux du Buysson est essayiste.

Le Monde du 2 juillet 2003

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