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Kinsey, héritier de Moll

Publié le par Jean-Yves Alt

Le système de classification d'Alfred Kinsey (1894-1956) était fondé sur les relations sociales : relations hétérosexuelles avant, pendant et en dehors du mariage ; avec des prostitué(e)s ; homosexualité ; bestialité ; masturbation ou bien relation sexuelle absente.

La pornographie, le travestissement, le sadomasochisme, et le fétichisme étaient rarement abordés. La terminologie et la classification sexuelle de Kinsey se démarquaient peu des catégories du psychiatre allemand Albert Moll (1862–1939) instituées en 1897.

Le nouvel apport de Kinsey résidait dans son échelle statistique concernant le nombre de rapports et de partenaires. Les études qui suivirent et qui étaient menées par le Kinsey Instituts depuis les années soixante-dix marquèrent un éloignement de la biologie. Toutefois les auteurs, après avoir examiné toutes les théories socio-psychologiques concernant l'homosexualité, conclurent qu'aucune n'était fiable. Ils avancèrent alors que l'homosexualité était probablement biologiquement déterminée. Même la sexologie contemporaine avait du mal à rompre avec le déterminisme biologique.

Ce déterminisme est né au XIXe siècle. La division faite par Albert Moll entre rapport sexuel et conduite relationnelle a été à l'origine de la fondation de la sexologie moderne. L'idée qu'un mécanisme physiologique préside au rapport sexuel a fait de la sexologie d'abord une science biologique. Puis l'idée que les relations sexuelles et le choix d'objets sexuels étaient eux aussi déterminés a fait de la sexologie une science des relations intimes. L'accent a d'abord été mis sur l'aspect biologique et médical et plus tard sur la psychologie.

La sexualité fut alors considérée comme une catégorie universelle et non comme le simple produit des développements sociaux, culturels et historiques. Certaines formes de conduites sexuelles reçurent une attention considérable, surtout l'hétéro et l'homosexualité, alors que l'intérêt pour d'autres activités, comme la sodomie et la masturbation, s'affaiblit.

Avec ses statistiques sur les rapports sexuels, Alfred Kinsey fit entrer la sexologie dans le royaume de la sociologie. À cause de l'importance de présupposés biologiques et psychologiques, certaines préférences érotiques comme le fétichisme, le sadomasochisme ou le fantasme sexuel reçurent une moins grande attention sexologique. Parce que la sexualité était perçue comme une affaire privée, ses formes sociales et historiques furent ainsi peu analysées. Une réflexion sur la base théorique des concepts sexuels négligée.

Le déterminisme biologique et psychologique de la sexologie a par ailleurs gêné la mise en place de la recherche sociologique et historique sur la sexualité. De plus l'embarras à prendre en compte certains faits sexuels ont fait obstacle à l'étude de tels faits sociaux. C'est ainsi que certains phénomènes sexuels ont été noyés dans l'analyse d'autres faits sociaux : l'homosexualité vue seulement en termes de relation œdipienne ; la prostitution comme conséquence de la pauvreté ou miroir des rapports de classes ; le travestissement marquant la primauté du genre ; le sadisme celle des relations de pouvoir ou encore les rituels sexuels uniquement quadrillés par un système symbolique.

De telles analyses parfois fausses, parfois légitimes, empêchèrent d'aller plus loin dans la réflexion des phénomènes sexuels eux-mêmes.

Les préjugés sociaux aussi bien que les principes biologiques, psychologiques et théoriques continuèrent d'empêcher le développement de la recherche sociologique et historique sur la sexualité.

Tout se passait alors comme si ces approches interprétaient la sexualité elle-même comme un phénomène naturel et constant quels que soient le lieu et l'époque.

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