Réflexions sur l'homophobie
■ Quel est le sens de la notion même d'homophobie ?
■ L'homophobie est-elle une question limitée à l'homosexualité et son acceptation, ou beaucoup plus largement la haine et la stigmatisation des qualités considérées féminines chez les hommes, et dans une autre mesure, des qualités dites masculines chez les femmes ?
■ Et ce dénigrement, cette haine, ne proviendraient-ils pas d'une angoisse plus profonde encore, de la peur de l'autre en soi (concept utilisé par Daniel Welzer-Lang), c'est-à-dire de cette femme qui sommeille en chaque homme, de cet homme qui dort en chaque femme, de cet homosexuel-le qui, sait-on jamais, n'attend peut-être en nous que de s'éveiller ?
■ Comment alors ne pas lier l'homophobie aux pseudos-frontières des genres masculins et féminins (qui n'ont rien à voir avec le sexe biologique) et à leurs rapports de pouvoir ?
La peur de l'autre en soi peut certes s'entendre comme crainte de voir émerger une partie de moi-même dont je ne veux pas (l'autre-DE-moi), mais aussi comme crainte de l'autre en tant que tel (l'autre-QUE-moi), angoisse de la différence du seul fait de son étrangeté. Les racistes de tous poils ont depuis longtemps cultivé et exploité cette méfiance devant ce qui est inconnu ou différent.
La part de mystère donc de menace que recèle l'autre - l'homosexuel pour l'hétérosexuel, la femme pour l'homme, l'homme pour la femme, l'étranger pour l'autochtone, l'autochtone pour l'étranger, etc.- nous l'avons tous crainte, un jour ou l'autre, en notre for intérieur.
Interroger nos connaissances, nos attitudes et nos valeurs face à l'homosexualité et l'homophobie est une façon salutaire de traquer l'ignorance, qui fait le lit de l'intolérance. Mais tout le monde est-il prêt à s'interroger sur cela ?
L'injonction à la virilité est un code de conduite très puissant dans les représentations et les pratiques sociales des hommes... C'est dans le groupe des pairs que, dès le plus jeune âge, les garçons apprennent qu'ils doivent se différencier des femmes : ne pas se plaindre, apprendre à se battre, apprendre aussi à être les meilleurs... Tout ce qui n'est pas conforme à la conduite virile va être classé comme féminin. Le garçon qui n'y adhère pas va être la risée des petits camarades, exclus du groupe des hommes, souvent violenté. De fait, les hommes vont être socialisés à la violence masculine des plus forts sur les plus faibles. C'est d'ailleurs cette même violence qu'ils vont reproduire par la suite dans le monde du travail, dans le couple...
Aujourd'hui, la domination masculine perd de sa force, et les nouveaux modèles masculins restent à définir. Pour parodier Simone de Beauvoir, on pourrait dire en effet que « l'on ne naît pas homme, on le devient ». Aujourd'hui, les "grands hommes" qui sont les modèles d'identification masculine sont les hommes politiques, les médecins, les capitaines d'industrie qui, dans le contexte de l'économie mondialisée, ont le pouvoir de délocaliser et mettre des milliers de personnes au chômage... Or, pour faire partie de ces grands hommes, on peut être petit et fluet... Il existe donc une recomposition des formes de domination.
Dans certains quartiers restent les garçons qui souvent n'ont pas de travail, ne peuvent pas faire valoir leurs qualités intellectuelles ni physiques. La valorisation par la virilité à laquelle, d'ailleurs, ils ont été socialisés, est pour eux une sorte d'exutoire. Quels moyens ont-ils de se prouver qu'ils sont des hommes si ce n'est en utilisant ce à quoi ils peuvent avoir accès : la violence, violence homophobe entre garçons, violence sexiste envers les filles (cf les filles-mères cataloguées de salopes, putes..)
En fait, quels sont les hommes repérés, désignés et accusés d'homosexualité ? Ceux qui ressemblent aux femmes, ceux qui portent des tenues efféminées, ou qui ont des manières de dire et de faire que l'on peut qualifier de féminines. Un homosexuel qui se cache, ou qui présente tous les signes de la virilité, n'est pas concerné. Bien plus, la critique - ou l'agression- de la part féminine chez l'homme, dire qu'un homme efféminé est un homosexuel, un pédé, un enculé, n'a pas de rapport avec la sexualité de cet homme. C'est un produit de l'éducation, du social. Chaque culture définit ses propres critères de masculinité. Chez les intégristes musulmans, un homme, un vrai, un viril, a les yeux maquillés.
Et pour les homosexuels ? Le message distillé par l'homophobie est clair : pour vivre heureux, vivez cachés ou changez ! Sinon, si jamais vous êtes assimilés à ceux qui ne sont pas des hommes (autrement dit des hétérosexuels virils), vous serez traités comme des femmes et vous risquez l'agression et la stigmatisation. L'homophobie exhorte les hommes, homosexuels ou pas, à adopter sous la contrainte les codes virils.