De quoi exactement, nous autres homosexuels, sommes-nous supposés être fiers ? par Bruce Labruce
S'il s'agit simplement de l'acte d'enfiler régulièrement « ça » dans une personne du même sexe, je pense que c'est à peine une juste cause pour organiser défilés et parades, et ce n'est certainement pas une excuse suffisante pour un mouvement idéologique cohérent.
Si c'est pour célébrer nos réalisations créatives, ici encore c'est à mettre en question. Car ne peut-on prétendre que les plus grandes œuvres homosexuelles en art et littérature ont été créées par des gens qui, au minimum, étaient ambivalents à l'égard de leur homosexualité et de sa signification dans un contexte culturel plus large et, au maximum, étaient hantés et torturés par elle ? Bon nombre des artistes et penseurs homosexuels les plus importants et influents de ce siècle - Genet, Pasolini, Bacon, Burroughs, Vidal - refusèrent, voire dédaignèrent la notion générale de communauté homosexuelle, ainsi que toute tentative de politisation d'une simple inclination sexuelle.
Si l'on considère la direction prise par le mouvement gay aujourd'hui - sa banalité homogène, son orientation désespérée vers l'acceptation par le courant principal au prix de l'imagination et de la différence, son insistance irritante pour être représenté et visible au-delà de toute attente raisonnable (nous constituons moins de cinq pour cent de la population) -, ils pourraient avoir eu une bonne raison de s'abstenir d'applaudir l'équipe rose et je crains d'être d'accord là-dessus.
Avons-nous vraiment besoin, un jour ou une semaine par an, de donner un prétexte aux gays pour remuer leur cul en public, insulter les femmes en les parodiant de façon grotesque - qui savait que depuis le début les féministes avaient raison à propos du drag ? - et se joindre à leurs sœurs lesbiennes pour faire parader leur style et leur goût hautement discutables, afin que le monde entier le voit ?
Avons-nous même encore besoin d'une communauté gay, après tout ?
N'est-il pas temps simplement de devenir adultes ? Et si c'est ainsi que je ressens les choses, pourquoi est-ce que je me consacre en premier lieu à des films gays ? Ces questions, et d'autres encore, me démangent le pantalon comme une maladie sexuellement transmissible.
Bruce Labruce (1)
■ in Les gays savoirs (chapitre : Par-delà la vallée du New Queer Cinema), ouvrage collectif sous la direction de Patrick Mauriès, Editions Centre Georges Pompidou/Le Promeneur, 1998, ISBN : 2858509719, pages 134-135
(1) metteur en scène canadien indépendant. Auteur notamment du film «Hustler White».