Sainteté et ambiguïté
Réels ou imaginaires, historiques ou pur tissu de légendes, figures sans cesse remodelées au fil des siècles, les saints et les saintes n'en imposent pas moins le respect.
Le christianisme aime le péché. À la quête de la sérénité orientale, les chrétiens préfèrent la déchéance de l'âme (entendre les turpitudes de la chair) que la clémence divine rachète in extremis.
Ambiguïté, complexité, obscurités, faiblesses, élans d'épicurisme, autant de motifs que la religion s'efforce encore souvent de cacher. Serait-ce que dans certains esprits, est plus plausible un modèle du « saint » absolument sans souillure ? Mais alors, les saints deviendraient des clones, et aucun d'eux ne retiendrait l'attention, aucun ne titillerait la conscience ou l'affect...
■ Y a-t-il des saints homosexuels ?
Voilà un thème sur lequel il serait hasardeux de broder, même si certains auteurs (Guy Hocquenghem, La colère de l’agneau – Julien Green, Frère François) ne s'en sont pas privés.
– Jean, celui que Jésus aima, l'apôtre et le visionnaire, l'était-il ?
– Philippe Néri, jeune homme gâté de tous les dons, qui une fois à Rome, où il passait son temps à composer des poèmes et à prier, recevait le soir des jeunes gens qu'il avait recrutés dans les lieux de plaisir, l'était-il ? On parlait, on riait, on chantait. C'est dans son « Oratoire » que fut créé l'oratorio, là également que furent fondés les oratoriens, société de prêtres séculiers que ne lie aucun vœu et qui, tel saint Philippe Néri, ne péchèrent jamais par excès de zèle.
■ Des saints qui ont combattu l'homosexualité ?
– Dans l'Angleterre du XIe siècle, en pleine querelle des Investitures, exista un saint du nom d'Anselme, lequel, alors qu'il avait eu une jeunesse dissipée et que les plus grands personnages brûlaient de l'avoir pour ami (Guillaume le Conquérant comme confesseur, le pape Grégoire VII « pour pouvoir respirer l'odeur de ses vertus », Urbain II « pour jouir un peu de son affection ») se mit en tête de faire condamner les homosexuels. Le roi Guillaume le Roux, fils du Conquérant, soupçonné d'homosexualité, s'opposa farouchement à cette résolution.
– Avec saint Pierre-Damien, on trouve le Livre de Gomorrhe (1051). Outre toutes sortes de dérèglements, y sont fustigées l'incontinence (mariage, concubinage, etc.) et l'homosexualité des clercs. Il demande à Léon IX de les exclure de l'Église, ce que refusera ce dernier.
■ Et des saints transsexuels ?
Au registre des mœurs non-conformistes, il reste quelques personnages à évoquer. Y eut-il des saints transsexuels ? Non. Mais on recense des saints travestis. Les aventures d'Eugénie et de Didyme sont à cet égard savoureuses.
– Eugénie, jeune fille ravissante poussée au mariage, échafauda un stratagème pour échapper à un pareil destin : passant devant un couvent où dix mille moines chantaient en chœur, elle revêtit des habits d'homme, prit le nom d'Eugène, se fit recevoir parmi les moines, lesquels ne tardèrent pas à l'élire comme abbé. Trahie par une certaine Mélanthia, dont elle n'avait pas eu grand mal à repousser les avances, Eugénie dut finalement ôter sa fausse barbe et ses vêtements, ce en pleine séance de tribunal.
– Pour le centurion Didyme, ce fut exactement l'inverse : lui se déguisa en femme. Rejoignant au lupanar une jeune vierge, Théodora, qu'on y avait envoyée pour désobéissance, il se fit passer pour un client et l'habilla de son propre uniforme, afin qu'elle puisse prendre la fuite. Quant à lui, il se présenta en pucelle consacrée aux débauchés qui attendaient et, de sa grosse voix, les interpella avec violence ; comme il l'espérait, il fut aussitôt transformé en martyr.
L'homme est beau parce que vulnérable, disait en substance la philosophe Simone Weil ; reprenant son idée, il est possible de dire que les saints sont beaux parce que souvent ambigus. C'est ce qui les rend plus vrais et fait que, malgré la distance, ils me/nous ressemblent.
Illustration : Guido Reni – Vierge à l'enfant avec le bienheureux Philippe Néri (détail) – 1919 (Santa Maria in Vallicella, Rome)