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Le château de Cène, Bernard Noël

Publié le par Jean-Yves Alt

Un texte jadis scandaleux

Ce roman érotique, pornographique même (ce qui ne l'empêche pas d'être un texte habité par le souci de l'écriture), ce poème sexuel ne provoque aujourd'hui plus le moindre remous.

"Le château de Cène" met en scène un acte somme toute banal et monotone : un sexe masculin qui se dresse et pénètre un cul, un con, une bouche. La réussite du roman réside dans la virtuosité de l'écrivain qui transfigure en cérémonial halluciné la répétition à l'infini d'une figure mécanique. Et ceci sans jamais s'écarter des parties du corps habituellement consacrées à l'orgasme.

Le narrateur bande et fout. La femme écarte son sexe et absorbe le pénis. Le rite déroule sa spirale inévitable. Ce n'est jamais lassant, sans doute parce que sans cesse on attend une révélation - y aurait-il une manière nouvelle de jouir ? -, parce que le style a des beautés fulgurantes, parce qu'aussi le lecteur n'en finit jamais d'être ébloui par cette quête du corps qui demande aux instants qui conduisent de l'érection à l'éjaculation de répondre à l'immense question, sans fond, du bonheur.

L'auteur est le porte-parole relativement consciencieux des aspirations hétérosexuelles et plus particulièrement des fantasmes de l'homme viril qui sanctifie, comme grand aboutissement, la pénétration. Il est question du sexe viril sans cesse exalté par sa propre turgescence. Il est question du sexe de la femme béant et palpitant, affamé de ce phallus divin, bouche dévorante que l'homme vénère.

Quelques bifurcations audacieuses balisent les marges si légèrement marginales du désir conventionnel. C'est ainsi qu'une main féminine soupèse l'or des lourdes couilles et que des doigts hardis de femme s'insinuent dans l'anus masculin :

« Tu fouilles mes fesses, et j'imagine que, moi aussi, j'ai là une grande bouche. » (p. 31) 

Allusion qui regorge de muettes prières vite bloquées.

Quête qui ressurgit plus loin lorsque intervient un acolyte noir, dans l'onirisme d'une chambre où l'homme et la femme sont séparés par une vitre :

« J'ouvrais les yeux. J'étais dans la colonne transparente. J'étais avec le Nègre qui m'avait sucé. Nous étions deux poissons, l'un noir, l'autre blanc qui se regardaient nager dans le doux foisonnement de l'air. Je me souvenais d'une chute légère, en moi, hors de moi, d'un sentiment de chute. » (p. 65)

Et, ultime égarement, on rencontre aussi un godemiché impertinent dont la femme encule l'homme.

Mais l'homme ne se touche pas, ne s'exalte pas de son propre corps, ne se caresse pas. L'homme n'est pas pénétré par l'homme et ne connaît pas les délices de l'abandon. C'est la femme qui tient le fouet du subtil enchantement de la flagellation. Car il reste toujours le grand interdit, la citadelle imprenable, l'impossible transgression.

L'homme n'ose pas nier la fin de toute chose, cette procréation, inscrite en filigrane certes, mais indélébile, toujours présente, même dans les jeux stériles du plaisir : le mâle n'a qu'un projet, s'enfoncer et se perdre (perdre sa semence) dans le ventre d'une femelle.

Il reste que "Le château de Cène" est un récit baroque et luxueux. Un long poème initiatique à la gloire du plaisir. Interdit et saisi en 1969 et condamné pour outrage aux mœurs en 1973, remis en liberté en 1977, ce roman est un des chefs-d'œuvre de la littérature pornographique.

■ Le château de Cène, Bernard Noël, Editions Gallimard/L'Imaginaire, 1993, ISBN : 2070728463

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