Des catastrophes aux morts collectives
On peut lire dans l’œuvre de Jules Verne, dont on commémore le centenaire de la mort cette année, le grand combat du déterminisme scientifique contre l’obscurantisme. Avec, au final, la défaite de la science face à la nature, et l’explosion ultime de l’île mystérieuse.
Une constante de la nature humaine est de savoir, au fond d'elle-même, sa fragilité face aux éléments. De la grande peste (1348) à l’épidémie de grippe espagnole qui tua, en 1918, environ 30 millions de personnes, à celle, contemporaine, du SIDA en passant par le tremblement de terre de Lisbonne (1er novembre 1755), les catastrophes ont hanté l’imaginaire de nos ancêtres.
Le XXe siècle aura compris d’abord, que l’homme, quel que soit son niveau de technicité, n’échappera pas aux catastrophes et ensuite, qu’il peut lui-même enfanter le pire des chaos.
Le siècle dernier fut celui d’Auschwitz et de Hiroshima. Et Hiroshima marqua même la fin d’une certitude : celle du rescapé. L’homme est désormais en mesure d’anéantir l’humanité. Depuis, il faut vivre avec cet horizon d’un destin fini.
Orchestrée par la télévision, une sociologie de la mort collective s’est même mise en place au fil des journaux de 20 heures, dans une longue et moderne litanie des morts (1).
■ (1) On lira avec intérêt l’ouvrage suivant : La Mort collective. Pour une sociologie des catastrophes de Gaëlle Clavandier, CNRS éditions, septembre 2004, ISBN : 2271062616
Présentation de l’éditeur : Ce que la mort a de monumental, d’inattendu et de collectif, tel est le sujet de cet ouvrage. Il aborde les morts collectives à travers un regard sociologique, la question centrale étant : la mort d’un collectif d’hommes, outre les traitements habituels, ne suscite-t-elle pas des réactions et pratiques spécifiques en lien avec le caractère collectif de ces morts ? De ce point de vue, cette mort serait collective parce qu’elle génère un traitement original différent des décès "ordinaires". Cette recherche se construit sur un corpus d’une vingtaine d'accidents majeurs ayant eu lieu sur le territoire français au XXe siècle. Le plus ancien est celui de l'incendie du Bazar de la Charité en 1897, les plus meurtriers ceux des mines de Courrières en 1906 et de la rupture du barrage de Malpasset en 1959, le plus récent celui de l’incendie du tunnel du Mont-Blanc en 1999. Y sont étudiées les dangerosités sociales, les réactions émotionnelles, les ritualisations du deuil et la construction d’une mémoire collective. Aujourd'hui les morts collectives ne s’expliquent plus par une vengeance divine ou une Nature furieuse, c’est la responsabilité humaine qui est en question. Se pose alors le problème quasi insoluble d'une responsabilité collective de l’homme, très complexe en terme de droit. En découle l’idée d’un passage impossible, d’où aussi la nécessité d’une sur-ritualisation et d’un oubli récurrent.