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Passage du désir, Jean-Pierre Siméon

Publié le par Jean-Yves Alt

Ce roman met en présence deux personnages désabusés, le narrateur et son double, Monky, qui arpente les trottoirs de Paris en égrenant les souvenirs d'une passion désespérée.

Leurs rencontres, au hasard des cafés ou passage du désir, sont à la fois redoutées et espérées par le narrateur qui se veut hors d'atteinte des désordres de la passion et qui se protège des heurts de la vie en se réfugiant dans un scepticisme amer.

Pourtant, le narrateur est peu à peu fasciné par Monky, ce bretteur aux multiples facettes, cet homme étrange qui a une histoire à raconter mais ne la livre que par bribes allusives.

Ces relations envoûtantes sont rapidement poussées à leur paroxysme : passage du désir, Monky remet au narrateur un manuscrit, sa douloureuse histoire d'amour, manuscrit que le narrateur s'approprie et qui devient le livre lui-même.

Cette mise en abîme, ce jeu des narrations entrecroisées, mise en évidence des rapports et des distances entre la vie et son écriture, est aussi une réflexion entre l'amour et sa théâtralisation : comment vivre la passion ?

● En la fuyant par lâcheté, comme le narrateur.

● En l'extrêmisant, en rejoignant la violence du fait divers comme Monky qui dans son manuscrit avoue avoir été jusqu'au bout de la geste d'amour : le meurtre.

Les ravages de la passion, l'auteur sait aussi les faire intensément ressentir en filigrane en évoquant les amours furtives d'un adolescent, Patrick, qui cherche désespérément à vivre son amour des hommes.

« Je m'assis brutalement sur mon lit. Patrick était là. Sa silhouette était large, flottante comme arrachée du sol, pendue par le dos à un croc de boucher. Il regardait ailleurs, comme la fille rousse de la banque. Sans que j'eusse le temps de rien faire, de rien dire, la silhouette s'enroula sur elle-même et tomba sur le lit. Patrick était allongé près de moi. Sa respiration était si lente qu'on l'eût dit contrainte.

« Bouge pas. Dis rien. Je partirai tout de suite. »

J'avais honte, ou peur. Je voulais hurler, le faire rouler à terre, le rouer de coups. Pourtant je ne bougeais pas, figé, engourdi, prostré. Ma violence restait tout intérieure. Quelque chose de plus impérieux la bridait, lui interdisait toute apparence.

Trêve d'hypocrisie. Ce corps qui creusait le lit près de mes reins me délivrait, m'accordait le poids de la présence qui me faisait défaut. La respiration de Patrick, plus immobile que ma peur même, instaurait dans ma chambre la tension que j'attendais.

Le garçon, en un mouvement de chiot étourdi, glissa sa tête sur mon épaule. Sa main coula dans le pli de l'aine et se posa, museau, velours moite à l'intérieur de ma cuisse.

Tout s'ankylosa alors dans une torpeur et un silence d'après l'amour. Amour ? Peut-être était-ce dans l'évènement absurde de cet instant que tout m'arrivait enfin ? Cet accord de nos présences, parce qu'il n'était l'effet d'aucun appel, d'aucun mouvement, de nul effort, cet accord enfin me procurait la paix et le défi de tout ce que j'avais traqué en vain le jour durant.

Je m'endormis sur la joue de Patrick. » (pages 60-61)

Patrick que la société traquera : irruption de la violence sociale, le père et les policiers.

Roman sur les dérives de l'amour, « Passage du désir » est surtout un plaisir de lecture. Jean-Pierre Siméon sait par la narration d'anecdotes, de rencontres fortuites, de monologues caustiques, suggérer plus que démontrer. Il fait entrer dans ce roman sans dire que l'histoire en fait concerne chacun. Impeccablement pris au piège, le lecteur reconnaît - trop tard ( ?) - ces lieux familiers, ces lieux du désir où il ne fait que passer. Une sorte de doux malheur.

« N'empêche, quel doux malheur c'était !

Je me dis que c'était là ce que tout homme devait penser de sa vie avant de la quitter. » (page 159)

■ Passage du désir, Jean-Pierre Siméon, Editions Le Castor Astral, collection Millésimes, 2006, ISBN : 2859206329

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