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Pour toi, Anissa, je fonce à deux cents années-lumière, Clotilde Bernos

Publié le par Jean-Yves Alt

Un père annonce à sa famille son homosexualité. Il va quitter la maison. Son fils, Louis, 17 ans, découvre au même moment avec Anissa, des sentiments nouveaux pour lui. Mais la vie de la jeune fille, d’origine algérienne, est bien différente de la sienne : un véritable monde inconnu avec la violence exercée sur les femmes.

Anissa en dehors du lycée ne peut sortir : ses frères, particulièrement son frère aîné, Youssef, la surveille de très près. Son univers, en dehors de l’école se résume à l’immeuble de sa cité et le bac à sable (Louis l’appelle le "bac à crottes") où elle emmène sa petite sœur. Elle arrive de temps à autre, pour un court moment, à retrouver Louis sur la terrasse de son immeuble où leur amour mutuel se développe. Le père du jeune homme, sans doute culpabilisé par sa nouvelle vie, couvre son fils de cadeau alors que celui-ci ne demande rien en particulier : « À croire que l’homosexualité est le seul sujet de débat sur la terre ! » Son ex-épouse gère la situation du mieux qu’elle peut ; Louis étant le dernier enfant présent à la maison elle ne souhaite pas en "rajouter" de peur de le perturber un peu plus. Louis se fera petit à petit à l’idée que son père vive avec un autre homme afin qu’un jour, Youssef, le frère d’Anissa se fasse aussi à l’idée qu’il puisse vivre avec elle.

Ce roman pour adolescent, raconté sous le seul point de vue de Louis, aborde donc la question de l’homosexualité qui le concerne indirectement via son père. Louis se demande bien à un moment - à cause de l’hérédité - si lui aussi, sera homosexuel. Cette interrogation ne semble pas vécue comme une crainte. Il «digère comme une vache repue que rien ne peut émouvoir.» Ce qu’il ressent pour son père, après l’annonce faite, est particulièrement bien analysé : il n’a pas envie de changer sa vie parce que son père se déclare «un autre, le même autre». Il n’a pas non plus envie de l’absoudre de sa culpabilité. Il semble que ce qui le touche le plus soit la séparation de ses deux parents plutôt que la connaissance de l’homosexualité de son père.

« Mon père est un type embrouillé. Je croyais qu'il était le phare de mon port d'attache, mais il fait, depuis longtemps, la bouée qui dérive en moi, nous, quel courant va nous emporter ? »

Il faut ajouter qu’à ce même moment, il découvre la naissance de son amour pour Anissa qu’il avait pourtant déjà croisée plusieurs fois mais sans jamais s’arrêter sur elle : la circonstance d’une chute à la sortie du bus amorcera leur histoire commune. Anissa, bien que souvent cloîtrée chez elle, semble en connaître davantage que Louis sur les relations humaines. Elle essaiera de lui évoquer, ce qu’elle a vu alors qu’elle était encore dans son pays, la violence sur les femmes qui ne veulent se conformer à la loi des Hommes.

« Tu sais, Louis, on peut tout rêver à sa façon, avant. Mais quand les choses arrivent, elles ne sont jamais comme dans le rêve, jamais à sa hauteur. Pas la peine de se presser. Tu veux voir mes poitrines ? Eh bien, les voilà, dit-elle en soulevant son tee-shirt. Et maintenant, t’es bien avancé ! Ces deux trucs de rien du tout, qu’est ce que ça a d’extraordinaire, hein, à part que c’est défendu ? »

Avec beaucoup d’humilité, elle lui fera partager un peu de sa vie, de ses craintes, de sa révolte à l’idée d’avoir une vie comme celle de sa propre mère.

Il y a aussi Mouhrid, un SDF algérien, à qui Louis apporte des restes de repas, et qui lui fait découvrir, à sa façon, avec le regard d’un homme, la vie, et les femmes de là-bas.

« Il est venu ici pour travailler, mais aucun des siens ne l’a rejoint. Et puis il a perdu son travail. Trois toutes petites phrases en résumé de sa vie. »

Il y a encore Martin un jeune aveugle que Louis rencontrera alors qu’il part rejoindre son père en vélo : il lui montrera l’importance d’être déterminé dans sa vie. Et qu’il faut parfois s’attendre à en «perdre le mode d’emploi»… L’important, étant de «détourner ses croyances» pour être acteur de sa propre vie. Ni intolérant ni pantin.

■ Pour toi, Anissa, je fonce à deux cents années-lumière, Clotilde Bernos, Editions Syros, Collection Les Uns Les autres, avril 2005, ISBN : 2748502930


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com

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