Nos plus beaux souvenirs, Stewart O'Nan
Le bel été près d'un lac, les vacances comme un ultime adieu au temps passé. Dernière semaine en famille.
Il est temps de tourner la page. D’en finir. De liquider le passé. Maintenant qu’Henry est mort, inutile de garder la maison au bord du lac. Ce magnifique cottage dans lequel toute sa famille se retrouvait à dates fixes pendant l’été, et quelques week-end au cours de l’année, lui appartenait. Cette maison est devenue encombrante maintenant qu’il n’est plus là.
Il y est partout présent, dans chaque pièce, chaque instant de la journée. Aussi, Emily sa veuve, a-t-elle décidé de la vendre. Tout le monde en est un peu peiné : Arlen sa belle-sœur, Ken et Meg ses enfants, ses petits-enfants le sont un peu moins. Trop jeunes pour avoir des regrets, ils s’en moquent, ils ont d’autres soucis, d’autres sujets d’intérêt. Les filles commencent à s’intéresser aux garçons, leurs petits frères sont encore à l’âge des jeux. Le fait qu’on leur interdise d’utiliser leur « Game Boy » plus d’une heure par jour suffit à les occuper. Les voilà tous réunis une dernière fois, pour une semaine.
On va commencer par découvrir cette maison et tout son environnement ; le lac, l’embarcadère, la forêt tout autour et la petite ville voisine. Tout le talent de Stewart O'Nan est de rendre ces lieux parfaitement familiers, en même temps qu’il les décrit. Alors qu’ils nous sont inconnus. On reconnaît chaque pièce, chaque endroit, la marche qui craque et la grande table des repas...
Les surprises sont du côté des personnages. On va petit à petit apprendre à les connaître, à déceler leur force, leur faiblesse. À percevoir qu’Henry et Emily formaient un couple très uni, très autoritaire et déterminé. Ils rêvaient d’un bel avenir pour leurs deux enfants, d’un beau métier, de salaires élevés.
Résultat, Ken ne fait rien, à part de la photo, artiste en devenir, mais déjà un peu âgé. Il se repose sur Julie sa femme qu’il charge de régler les questions matérielles, de le rassurer à l’occasion. Quant à Meg, elle vient de se faire larguer par son mari qui a préféré aller rejoindre une plus jeune. Une moins triste, qui lui donnera ce qu’elle n'a pas su lui offrir. Elle est déstabilisée, tentée par l’alcool, l’abandon de soi. Reste la question des enfants. Comment accepter qu’ils l’abandonnent aussi pour aller retrouver leur père, ce petit éden qu’il se construit loin d’elle ?
En contrepoint, Arlen joue les vieilles filles désabusées. Jamais mariée par fidélité à ce frère qu’elle a passionnément aimé. Les deux unis par des liens plus forts que tout. Un amour qui l’a toujours séparée d’Emily avec laquelle elle doit composer depuis des années. Henry le voulait ainsi.
Finalement tous vont accepter ce jeu qui leur est imposé. Avant de quitter la maison, chacun doit choisir un objet et l’emporter, s’emparer d’un petit morceau d’éternité familiale. Ce qui paraît dérisoire. Mais sert de prétexte à révéler des secrets, une intimité, des rivalités, toute une vie pendant longtemps tapie au fond des êtres. Un camaïeu d’impressions, de sensations.
■ Nos plus beaux souvenirs, Stewart O'Nan, Traduit de l’américain par Jean-François Ménard, Editions de l'Olivier , mai 2005, ISBN : 2879294096