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Terrass hôtel de Jacques Almira

Publié le par Jean-Yves Alt

Un superbe roman d'amour où s'entrechoquent le présent et la mémoire, la littérature et la vie, la passion et la souffrance.

Le narrateur est un jeune homme qui passe quelques jours de vacances dorées sur une île des Caraïbes, en compagnie de sa maîtresse, Lina. Une femme riche et belle de quarante-cinq ans. Trompant leur ennui avec nonchalance, ils évoluent tous deux dans une atmosphère délétère. Autour d'eux, on tente d'oublier la menace que fait peser sur cet hôtel de luxe la soudaine éruption d'un volcan.

Le narrateur, qui se veut écrivain, sans avoir pour autant jamais écrit une ligne, tente de faire croire à son amie que son manuscrit a été perdu avec la valise manquante à l'aéroport. Ce manuscrit imaginaire est un prétexte : celui que se donne le couple pour accepter l'état de dépendance matérielle dans lequel le narrateur se trouve par rapport à Lina. Mensonge ou dissimulation ?

Ce texte introuvable n'est pourtant qu'anecdote en regard du lien qui unit Lina à son amant, et qu'elle seule ignore : le narrateur a été éperdument amoureux de son fils Hans, mort quelque temps auparavant dans un accident de voiture. Lina a juste trouvé le numéro de téléphone du narrateur dans le carnet d'adresses de son fils. Hans était photographe (il adorait mitrailler les prostituées et les travestis) ; il se droguait et n'avait que des rapports d'argent avec sa mère. Lina, qui connaissait son vice, ne lui refusait aucun billet. C'était sa façon à elle, un peu lâche, de le soutenir, sans rien dire.

Le roman est construit, sur le processus de la mémoire, puisqu'il superpose le temps de l'île avec Lina et celui du passé avec Hans.

« Hans est entré dans mes nuits comme les choses rentrent dans l'ordre. Il s'est insinué dans mes rêves ; il m'habitait tout entier. » (page 29)

Un souvenir en entraînant un autre, le narrateur recompose les fragments de cet amour exceptionnel et révèle peu à peu. comme dans un puzzle, l'image de la seule vraie passion qui l'ait jamais habité. Portraits croisés et subtilement dessinés de trois êtres liés les uns aux autres mais dont chacun conserve sa part d'ombre : Hans, Lina et le narrateur apparaissent dans leur complexité, leur grandeur mais aussi leur petitesse parfois.

Le narrateur cache bien son jeu ; sous l'aspect du gentil jeune homme de bonne famille, il livre ses fantasmes, ses peurs, ses désirs et trace ainsi le chemin d'une vie à la fois banale et peu commune, guidée par un seul impératif :

« Vivre, voilà la seule chose qui me paraissait essentielle. Que ce fût seul ou bien avec quelqu'un, homme ou femme, peu m'importait. Je n'avais envie que de vivre ma vie. » (page 67)

Le narrateur évoque le besoin impérieux de faire vivre son amour pour Hans malgré l'absence, malgré la mort. En rencontrant Lina, après le décès de son amant, et en s'attachant à elle, c'est la même quête de Hans qu'il poursuit :

« Je me raccrochais à Lina. Parce qu'elle était sa mère, je pensais qu'elle me rapprocherait de Hans, que je remonterais aux sources de mon amour en suivant le cours des choses. J'aurais aimé lui demander de me parler de Hans, qu'elle me racontât quel enfant il avait été, mais ma curiosité me paraissait vaine. Je devais inventer. » (page 93)

C'est dans cette dimension d'imaginaire et de réel inextricablement mêlés que le visage de l'ami prend toute sa force, tout son charisme.

« Mon Hans à moi avait commencé à se transformer en un personnage mythique, moitié héros livresque, moitié fantasme d'un imaginaire amoureux. » (page 101)

Le narrateur dépeint sa relation amoureuse avec Hans sans fausse pudeur, sans nostalgie sacrée. Il n'éprouve à aucun moment le sentiment de trahison pourtant sous-jacent à ce genre de situation. En vivant avec la mère de son amant décédé, il ne se dégoûte pas, au contraire il mesure mieux la fidélité qui le liait et qui le lie encore à Hans.

■ Terrass hôtel de Jacques Almira, Editions Gallimard , 1984, ISBN : 2070701549


Du même auteur : Le sémaphore

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