L'amour courtois dans la littérature par Michel Foucault
L'expérience de l'hétérosexualité, depuis au moins le Moyen Age, a toujours existé sur deux plans. D'un côté, l'amour courtois dans lequel l'homme séduit la femme et, d'un autre côté, l'acte sexuel lui-même.
Maintenant, la grande littérature hétérosexuelle du monde occidental a toujours à traiter essentiellement de l'amour courtois. C'est-à-dire de ce qui précède l'acte sexuel. Tout le travail de raffinement intellectuel et culturel, toute l'élaboration esthétique de l'Occident, étaient dirigés vers l'amour courtois. Cela explique la relative pauvreté de l'appréciation littéraire, culturelle et esthétique de l'acte sexuel en tant que tel.
Au contraire, l'expérience homosexuelle moderne n'a aucun lien avec l'amour courtois. Cependant, ce n'était pas le cas dans la Grèce antique. Pour les Grecs, l'amour courtois entre hommes était plus important qu'entre hommes et femmes. Rappelez-vous Socrate et Alcibiade. Mais la culture occidentale chrétienne bannissant l'homosexualité, celle-ci se concentre sur l'acte sexuel. Les homosexuels ne pouvaient pas élaborer un système d'amour courtois parce que l'expression culturelle d'une telle élaboration leur était interdite. Le coup d'œil dans la rue, la décision au quart de seconde, la vitesse à laquelle les relations homosexuelles sont consommées, tout cela est le produit d'une interdiction. Aussi, lorsque une culture et une littérature homosexuelles se sont développées, il était normal qu'elles se concentrent sur l'aspect le plus ardent des relations homosexuelles.
Michel Foucault
■ in Revue américaine Salmagundi n°57 [A special issue on Homosexuality], Interview de Michel Foucault par James O’Higgins, revue publiée par le Skidmore College [Saratoga Springs, N.Y. 12866], automne 1982, ISSN : 00363529
Lire aussi sur ce site : L'amour courtois entre hommes par Jean-Yves Tilliette