Je, William Beckford de Bernard Sichère (1984)
Il aura vécu pour la beauté, celle des visages et celle des arts. Il aura sillonné L'Europe pour connaître et aimer les êtres les plus exceptionnels. Sa vie est un roman sensuel et flamboyant. Son nom : William Beckford.
Bernard Sichère lui a écrit son autobiographie fictive.
Fils du Lord-Maire de Londres, qui meurt alors qu'il n'a que neuf ans, William Beckford se retrouve à la tête d'une immense fortune, issue de plantations à la Jamaïque. Il vit à Splendens, le manoir de Fonthill, avec sa mère pour laquelle il éprouve un amour passionné.
« Je savais qu'elle n'appartenait pas à l'humanité commune et, puisque j'étais son fils, je n'y appartenais pas davantage. »
Beau, riche, adulé, William Beckford prend très tôt conscience de sa singularité. Sa vive passion pour les livres, sa fiévreuse imagination, son penchant pour la rêverie l'écartent plus encore du commun des mortels et le transportent dans un monde féerique, placé sous le signe d'un Orient mystérieux et voluptueux.
Sa première passion a la beauté et la sensualité du loup. Il est ébloui par Andrew et envie ce jeune faune, libre dans les bois alentour. Mais quand les hommes le prendront et l'émasculeront, William connaîtra sa première peine, un malheur intime qui le poursuivra sa vie durant.
Chez Lord Courtenay, il tombe amoureux de William, dont la beauté fragile le touche infiniment. L'enfant a onze ans et Beckford dix-sept. Il confie ses émois à ses deux seuls amis : Alexandre Cozens, son professeur de dessin qui lui donne le goût des sciences occultes, et Louisa, la jeune épouse de son cousin, dont il partage la soif de liberté.
Beckford entreprend un gigantesque tour d'Europe qui occupera sa vie entière. Il goûte la liberté des mœurs à Vienne, la « beauté partout répandue comme une grâce » de Venise dont Lucchino est le plus vibrant exemple.
« L'enfance est terrible qui ne connaît pas son pouvoir, qui nous charme sans le chercher, et dont l'amour entier nous submerge. »
La passion de l'enfant et de l'adolescent atteint de tels sommets que William doit quitter, à son cœur défendant, la cité lacustre dont il croyait avoir fait la conquête.
« Venise n'est pas, comme on peut le croire, le lieu de toutes les libertés, c'est aussi la cité des espions et des délateurs. Osez aimer contre les normes, et vous verrez cette liberté fondre comme neige au soleil pendant qu'on vous montrera du doigt et qu'on vous fermera les portes. »
De retour à Londres pour fêter sa majorité, il retrouve sa mère et Louisa qui n'a cessé de lui écrire.
« Terrible et adorable » Louisa protège les retrouvailles des deux William, dont la passion n'a pas été entamée, pendant que l'on cherche une épouse pour le plus beau parti d'Angleterre. Mais le bonheur est de courte durée. Marié avec Lady Margaret, « l'épouse la plus douce, la plus attentive » (elle mourra en couches après lui avoir donné son second enfant), Beckford est entraîné dans un guet-apens ourdi par ses ennemis avec la complicité du jeune William. Livré à la vindicte publique, il doit quitter l'Angleterre et s'installe au Portugal. Là, il folâtre en compagnie des jolis héritiers des plus grandes familles. Gregorio Franchi, un jeune et charmant claveciniste, fuit le séminaire pour rejoindre William, le retrouve à Madrid et ne le quitte plus. Revenu en Angleterre, il s'attachera aux pas de William, tel un « sphinx docile à mes désirs et qui se glisse en secret dans mes rêves, sans mot dire. »
A Paris, au moment de la prise de la Bastille, Beckford est fasciné par deux jumeaux adolescents, Georges et Louise, sublimement beaux et mystérieux, qui meurent décapités en raison de leur fidélité au roi. Tout au long de ce périple, William Beckford rencontre Marat, qui le fait acclamer par la foule, Cambacérès, Talleyrand, Bonaparte. Grand amateur de peinture et de musique, il est l'ami de Turner et de Pacchierotti, un castrat à la voix miraculeuse.
Au soir de sa vie de retour en Angleterre où les envieux et les bigots lui prêtent la sinistre industrie de Gilles de Rais, il voit son univers s'évanouir en même temps que ses revenus s'effondrent et qu'il doit vendre Splendens et ses trésors :
« J'appartenais à jamais à un monde où le luxe est souverain et ne voulais rien savoir de celui, sans gloire, qui venait et qui pour moi n'était pas habitable. »
Un être fascinant dont tous furent amoureux, hommes, femmes et enfants, dont l'emblème de toute son existence pourrait être :
« Merveilleux continent de l'enfance dont je me trouve le prince et le conquérant sans avoir rien fait pour mériter un tel honneur : est-ce parce que je suis demeuré fidèle à ma propre enfance, reniant les sots et vains principes du monde adulte, qu'ils me recherchent avec une telle passion ? »
■ Je, William Beckford de Bernard Sichère, éditions Denoël, 1984, ISBN : 2207230570
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