La haute saison de Frédéric Rey
Un jeune instituteur laïque, perdu dans un village de l'Ardèche en 1891 : beau et équivoque, il bouleverse la vie des femmes et des garçons qui espèrent l'exaltation terrestre.
Antoine, le héros, est un garçon d'une beauté étrange et insolite. Soucieux de son corps, il touche tous les cœurs et exaspère toutes les rancœurs. Jeune instituteur à une époque où l'école laïque était suspecte, Antoine séduit et convainc. Mais il est loin du prototype du jeune idéaliste voué à l'éthique laïque, c'est plutôt un individualiste, esthète et concerné par sa propre réalisation. Le roman est centré sur les élans d'un jeune homme libre vers l'amitié, l'amour, la sexualité.
Antoine fait irruption dans un univers de paysans arriérés, soumis au curé débonnaire et alcoolique, un monde sournois et bloqué dans ses convictions. Le maître d'école scandalise. Non seulement il est beau avec son corps androgyne mais il pourfend les préjugés et les morales admises : le tête-à-tête amoureux, l'étreinte sensuelle, le charme physique, la séduction souple et tendre, sont ses atouts. Autant dire des armes que les hommes ont peur d'utiliser et qui, en cette fin du XIXe siècle, devaient paraître tellement anormales qu'elles s'apparentaient vite au monde obscur des manœuvres d'une succube.
Antoine s'attache à Mélanie, vieille solitaire de quatre-vingt-six ans qui retrouve une pétulante jeunesse dans la saveur d'arrière-saison d'une affection insolite. Avec Janine, paria, sensuelle et prostituée, fille-mère au grand cœur, il partage une sexualité enjouée. Il entretient aussi un lien ambigu avec la jeune institutrice du village voisin : Mademoiselle des Trois Rondeurs, belle image d'institutrice, en un temps où ce métier propulsait une jeune femme dans l'indépendance et la solitude.
Fugitif, extravagant mais proche de tous les secrets, Antoine est un personnage accidentellement immiscé dans la vie d'un village. À la fin du roman il repartira : il a semé des joies, des nostalgies, des espérances et peut-être aussi provoqué des prises de conscience. Proche du personnage de Pasolini (Théorème), il devient l'étrange visiteur qui révèle une autre dimension de la vie.
Avec Régis, le jeune sauvage, il établit une amitié magnifique : la séduction s'élabore peu à peu à mesure que Régis veut plaire au dieu blond sur son cheval. Régis aime Antoine, comme on aime dans l'absolu. Régis ne connaît pas les merveilles que détient la terre, Antoine les lui fait pressentir.
Les rapports entre les deux garçons, le sombre et le clair, la brute et l'acrobate, ne sont pas, dans le roman, sexuels. Il s'agit de tendresse, de sensualité, d'amour qui les unit.
Les deux hommes terminent le roman, en deux chapitres de nuit et de désir :
« Vers deux heures du matin, ils se réveillèrent au centre de trois pins où ils s'étaient endormis, l'un contre l'autre, au retour de l'auberge. Ils étaient un peu gris, très rieurs et ils avaient joué à s'arracher la couverture qu'Antoine avait placée dans son sac. Le ciel nocturne était magnifique et l'air très chaud, Antoine était dépoitraillé jusqu'au ventre et Régis boutonné. Tous les mouvements de leur sommeil les avaient dirigés l'un vers l'autre comme de jeunes animaux dont la mère s'est éloignée. »
Homme de joie, Antoine prête son corps et offre l'illusion de l'abandon. Antoine est un saint laïque. Il aime l'humanité, mais il ne la soumet pas à Dieu. Il dit aux hommes que le bonheur est là, proche, et que les êtres quand ils savent s'écouter découvrent ensemble des édens immédiats.
■ La haute saison de Frédéric Rey, Éditions Flammarion, 1992, ISBN : 2080646311
Du même auteur : La vie téméraire