Balthazar, fils de famille, François-Marie Banier
La peinture impitoyable d'une famille dans les années 60, l'existence d'un long étouffement... Un roman pour vaincre le malheur !
Pourquoi le petit Balthazar n'est-il pas heureux ? Avec un père si soucieux de son éducation, une mère pimpante qui semble sortir d'un magazine de mode, une sœur irréprochable, une bonne, un lycée modèle, le tout servi froid avenue Victor-Hugo : alors pourquoi cet enfant pourvu de tous les dons montre un visage aussi maussade ?
Ce roman d'apprentissage – celui du dégoût, de la haine, de l'hypocrisie – laisse un affreux goût d'amertume. Il n'est certes pas nouveau de découvrir que la famille n'est pas toujours le lieu propice à l'épanouissement de l'enfant et qu'il lui arrive d'être une jungle morbide, étouffante, où mûrissent les névroses. Et pourtant, il est difficile de ne pas être choqué, cinglé par la peinture au vitriol que l'auteur brosse de la famille Klimpt, d'une exquise férocité.
Tout commence mal pour Balthazar : il voit le jour après la mort d'un frère décédé à trois ans, fantôme idéalisé qu'il ne supplantera jamais dans le cœur de son père. Ce père, hongrois, honteux de ses origines, est un antiquaire plus véreux que les meubles qu'il entrepose chez lui. Il apparaît comme un smoking impeccable à qui une cravate tient lieu d'âme. Il déverse ses humeurs sur son rejeton rejeté. Mais combien inoffensive se révèle, en définitive, cette brute réglementaire en comparaison de son ineffable épouse !
En elle, Balthazar, avide d'amour, de reconnaissance, de complicité, se heurte perpétuellement à une absence. Sourde et aveugle à son déchirement, distraite au point de négliger les petits billets que l'enfant glisse chaque soir dans son lit, cette maman donne à rugir :
« Je la suppliais de m'écouter, de s'arrêter une seconde.
– Je peux faire deux choses à la fois.
Elle pouvait donc se peindre les lèvres et m'écouter parler de la mort. »
Cette menace, Balthazar la mettra à exécution : il avalera un tube de somnifère. Mystérieusement avertie, la mère découvrira à temps la vilaine bêtise et tout finira par rentrer dans l'ordre. Un ordre sépulcral.
L'enfant découvre l'amitié, les premières blessures amoureuses et la complicité attendrie des marginaux rencontrés au hasard des flâneries. Il y a aussi sa marraine richissime et nymphomane auprès de qui il quête un peu de tendresse absente. Quelle cinglante déconvenue pourtant, lorsque, abandonné par les uns et les autres, il s'avise qu'il n'est qu'un faire-valoir, une proie privilégiée pour ces vampires.
Tout finira par s'arranger, comme par miracle. Le roman y perd de sa force. Toutefois, François-Marie Banier a réussi à ne pas produire un apitoiement misérabiliste.
■ Balthazar, fils de famille, François-Marie Banier, éditions Gallimard/Folio, 1998, ISBN : 2070378284