Le gour des abeilles, Patrick Drevet
Un moment intense de bonheur : Ce sont les derniers mots de ce récit de Patrick Drevet, celui d'un épisode infime et pourtant essentiel de son enfance : un éveil au désir, étrange et envoûtant.
Le Gour des abeilles exerce sur le jeune garçon auquel l'écrivain a prêté sa plume une attraction qui tient plus à la puissance évocatrice et au charme du nom qu'au lieu lui-même, portion de rivière somme toute banale. La torpeur d'un après-midi de vacances oisives aidant, il décide de percer le mystère de cet endroit, réputé lieu de rendez-vous des cœurs et des corps en mal de tranquillité.
Mais, très vite, on comprend que le but de l'expédition a moins d'importance que le cheminement accompli, en compagnie d'un camarade, à travers les faubourgs de Saint-Claude. Le récit de cette aventure silencieuse est en fait celui d'une initiation, décrite avec un soin minutieux du détail. Cette quête d'un secret obsédant, enfoui dans la mémoire de l'homme mûr, l'enfant l'accomplit avec ce mélange d'attrait et de répulsion, de désir et de peur qu'inspirent les lieux cruciaux, dangereux et envoûtants, traîtres mais irrésistibles.
Toute la beauté de ce texte étrange réside dans le soin que son auteur a pris à décrire ce que son regard embrasse ou devine.
Qu'il s'agisse du spectacle rêvé des corps de jeunes gens enchevêtrés par le plaisir, livrés à l'ivresse d'une liberté d'un autre âge ou d'un autre monde, ankylosés par la jouissance dont leur chair rayonnait et semblait transcendée, devenue pleine, dense, compacte, sans autre contenu que la splendeur uniforme répandue à la surface de leur peau, ou de la fascination exercée par les élèves des classes supérieures (constante, profonde était l'admiration que je posais aux garçons plus âgés), le narrateur fait affleurer à la conscience le poids de désirs qui assaillent son esprit et ses sens.
A mesure qu'il progresse vers le Gour, il imagine y surprendre des couples faisant l'amour, des jeunes gens s'y livrant à des plaisirs troubles, à des réjouissances défendues ou plus ou moins honteuses, ou tout au moins clandestines. Il évoque aussi l'émoi suscité (plus ou moins délibérément) par Jacky, le seul prénom du livre, frère aîné d'un de ses camarades dont les cuisses viriles le troublent profondément.
Mais si Patrick Drevet excelle à décrire avec une discrète sensualité les corps des baigneurs qui se jettent dans la Bienne, son attention n'est pas moins précise à l'égard du monde qui l'entoure et dont il tente de percer les secrets.
Lire Le Gour des abeilles, c'est aussi partir à la quête de soi...
■ Le gour des abeilles, Patrick Drevet, éditions Gallimard, 1985, ISBN : 2070704637
Du même auteur : Les gardiens des pierres - Huit petites études sur le désir de voir - La micheline - Le visiteur de hasard - Une chambre dans les bois - L'amour nomade