Henri III, mort pour la France
Henri III est l'un des rois les plus absents de la mémoire nationale. La réputation sulfureuse de ses mignons n'explique pas tout.
Comment l'assassinat d'Henri III renforça l'unité nationale et la légitimité monarchique.
Le 1er août 1589, Henri III est à Saint-Cloud pour diriger le siège de Paris alors contrôlé par la Ligue catholique. Un moine dominicain exalté, Jacques Clément, se rend auprès de lui sous prétexte de livrer des informations militaires précieuses. Rassuré par l'habit ecclésiastique, le roi se laisse approcher. Il est mortellement poignardé au bas-ventre.
Cet attentat se place à un moment de très grande tension politique et religieuse. Depuis près de trois décennies, les guerres de Religion battent leur plein, aggravées par le massacre de la Saint-Barthélemy en août 1572. Premières victimes, les huguenots développent une théorie politique radicale selon laquelle la souveraineté appartient au peuple, le roi ne gouvernant que par contrat. Surtout, ils justifient le meurtre d'un roi qui ne respecterait pas les commandements divins. Le régicide est, en somme, légitimé. De leur côté, les catholiques durcissent aussi leurs positions afin d'empêcher tout compromis avec les hérétiques. Entre les deux, cependant, émerge un courant composé de protestants et de catholiques que leurs adversaires désignent du nom de politiques, parce qu'ils mettent l'avenir de la nation et le salut de l'État au-dessus des querelles confessionnelles. Nouveauté radicale en un siècle où la grande majorité considère que la vérité religieuse ne peut être qu'unique et doit être défendue par les armes.
La mort en 1584 de l'héritier royal avive les tensions, car, désormais, le successeur légitime d'Henri III n'est autre qu'un protestant, Henri de Navarre (le futur Henri IV). Cette situation est inacceptable pour les catholiques ; leur chef, le duc de Guise, organise une Ligue catholique dont l'objectif est d'empêcher l'arrivée au trône de France d'un hérétique. Le pouvoir des Guise devient si grand qu'Henri III le fait assassiner à Blois en 1588. Ce crime d'État, que le roi revendique au nom d'une raison supérieure inaccessible aux passions religieuses, ouvre une crise sans précédent. L'opposition est désormais totale entre la monarchie et ceux qui furent pendant des siècles son principal soutien: les défenseurs de la foi catholique. Non sans paradoxe, la Ligue est amenée à reprendre à son compte les arguments politiques des huguenots : le peuple est souverain et on peut en son nom tuer un roi tyrannique. Derrière l'argumentaire religieux, c'est aussi un idéal passéiste hostile à l'essor de l'État qui apparaît : refus de la fiscalité royale, apologie des libertés urbaines et des états généraux, retour à la frugalité du passé...
Cette nouvelle situation politique contraint Henri III à se rapprocher d'Henri de Navarre au nom de la défense d'une instance supérieure, l'État royal. Cette reprise de l'argument des politiques est d'autant plus puissante que se diffuse alors en Italie et en France une idée nouvelle, la raison d'État. Celle-ci impose la primauté des intérêts de la République, mais elle affirme aussi que le roi, seul porteur de la raison d'État, peut user de moyens qui ne relèvent pas de la justice ordinaire, par exemple l'assassinat du duc de Guise ou l'alliance avec un hérétique comme Henri de Navarre.
En bref, l'opposition semble irréductible entre ceux qui défendent la religion avant la nation ou l'État et ceux qui se battent, comme les deux Henri, pour la cause de l'État, et non de la religion. Tous se sentent autant investis par la Providence, mais leur vision de ce qui doit former le ciment de là communauté civique est aux antipodes.
Avec cette trahison, Henri III était devenu un tyran aux yeux des ligueurs et Jacques Clément ne fit qu'incarner la volonté divine. Le paradoxe est que ce régicide, loin de favoriser l'avènement d'une monarchie religieuse, renforça Henri de Navarre, car il resta le seul à représenter ce qui paraissait déjà la légitimité la plus forte, celle de l'État monarchique.
Henri III, observe Nicolas Le Roux (1), est l'un des rois les plus absents de la mémoire nationale. C'est que sa mort, c'est-à-dire son effacement du jeu politique, était une étape nécessaire à la réconciliation nationale mais aussi au passage à la monarchie absolue et à la suprématie de l'État. En ce sens, Henri III fut le premier martyr de l'État royal reconstruit.
Libération, Jean-Yves Grenier, jeudi 15 février 2007
(1) Un régicide au nom de Dieu. L'assassinat d'Henri III, 1er août 1589, de Nicolas Le Roux, éditions Gallimard, collection Les journées qui ont fait la France, novembre 2006, ISBN : 207073529X
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