Révélations sur la « Nuit de cristal »
par Hans-Jürgen Döscher, Maître de conférences à l'université d'Osnabrück
Le 7 novembre 1938, un secrétaire de l'ambassade allemande à Paris était victime d'un attentat commis par un jeune Juif. Un crime qui allait servir de prétexte aux persécutions de la Nuit de cristal... Des archives nous révèlent les dessous inattendus de cette affaire.
Le 7 novembre 1938, un jeune Juif polonais de dix-sept ans, Herschel Grynszpan, se présente à l'ambassade d'Allemagne rue de Lille, à Paris. Il est introduit auprès du troisième secrétaire, Ernst vom Rath, et lui tire dessus à bout portant avec un revolver. Vom Rath s'effondre. Il va succomber à ses blessures dans l'après-midi du 9 novembre.
En Allemagne, dès le lendemain matin de l'attentat, une violente campagne de presse s'en prend à la population juive. Le soir du 8 novembre, des synagogues sont incendiées, des magasins juifs pillés. Et c'est dans la nuit du 9 au 10 novembre que, sur ordre de Goebbels aux Gauleiter (chefs de district du parti nazi) réunis à Munich, des pogroms ont lieu dans toute l'Allemagne.
Une centaine de morts et 30 000 déportés
La Nuit de cristal, comme l'appelleront les nazis, entraîne la destruction de 267 synagogues, de plusieurs milliers de magasins, la mort d'une centaine de Juifs et la déportation de 30 000 autres. La mort de vom Rath est ainsi le prétexte à une campagne d'une violence inouïe contre la population juive en Allemagne.
On a longtemps pensé que Grynszpan (ci-contre, à gauche) avait voulu tuer l'ambassadeur d'Allemagne à Paris, Johannes Graf Welczeck. Cet acte désespéré aurait été une vengeance personnelle après la déportation en Pologne de la famille de Grynszpan, domiciliée à Hanovre, à la fin octobre. Dès lors, le diplomate allemand devenait un martyr politique, lâchement assassiné par les Juifs. Le procès prévu contre Grynszpan devait même prouver au monde le combat de la Juiverie mondiale contre le IIIe Reich et contre la paix. Pourtant, il n'aura pas lieu, les nazis ayant découvert les véritables motivations du meurtrier - que des archives nouvelles font apparaître.
Les autorités du Reich s'efforcent d'étouffer l'affaire
Selon le rapport adressé au ministère des Affaires étrangères par l'ambassadeur allemand dès le 8 novembre 1938, Herschel Grynszpan avait dit au portier qu'il voulait parler au secrétaire d'ambassade, et non à l'ambassadeur lui-même, ce que confirme l'adjoint de service de l'ambassade le 18 novembre dans sa déposition auprès du juge d'instruction à Paris. Par ailleurs, Herschel Grynszpan avait été admis librement sans avoir à remplir de formulaire. Autant d'éléments qui laissent supposer que Grynszpan et vom Rath se connaissaient déjà.
D'autres témoignages déposés au parquet de la ville d'Essen, lors du procès contre Diewerge, un ancien conseiller auprès du ministère de la Propagande, prouvent que Grynszpan et vom Rath s'étaient rencontrés en fréquentant le milieu homosexuel parisien. Avant d'être muté, au mois de juillet 1938, à l'ambassade d'Allemagne à Paris, Ernst vom Rath était en poste, depuis 1936, au consulat général de Calcutta, qu'il avait dû quitter, un an plus tard, pour des raisons de santé. De nouvelles sources indiquent qu'il souffrait d'une gonorrhée rectale - maladie provoquée par des rapports homosexuels.
Comment Grynszpan en est-il venu à tirer sur le secrétaire d'ambassade ? En juillet 1938, le ministère de l'Intérieur français refuse au jeune homme une demande de permis de séjour permanent parce qu'il est arrivé en France illégalement, qu'il a « perdu » son passeport et qu'il ne dispose pas de revenus réguliers. Grynszpan doit quitter la France au plus tard le 15 août 1938.
Or, il ne respecte pas l'ordre d'expulsion, préférant rester à Paris dans la clandestinité. Afin de légaliser son séjour et de pouvoir éventuellement retourner en Allemagne, il lui faut impérativement un visa de sortie et d'entrée. Ses parents confirment, en décembre 1938, qu'il a demandé au secrétaire d'ambassade de les lui délivrer. Mais vom Rath refuse, ce qui pousse Grynszpan à commettre l'irréparable.
« Les relations les plus intimes avec son petit Juif d'assassin »
En 1942, au cours de l'enquête sur ce crime, les autorités du Reich viennent à soupçonner des « rapports défendus » entre vom Rath (ci-contre, à droite) et Grynszpan. Les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères s'efforcent alors d'étouffer l'affaire. Impossible d'avouer que celui dont le meurtre a été le prétexte à la « Nuit de cristal » était homosexuel.
Rappelons en effet qu'à partir du 1er septembre 1935 ceux qui sont convaincus du crime d'homosexualité encourent dans l'Allemagne nazie dix ans de travaux forcés et l'internement à vie dans les camps de concentration. Ils ne trouvent pas leur place dans un pays qui exalte les valeurs viriles et les assimilent à des sous-hommes, susceptibles de pervertir l'équilibre de la société allemande.
Déjà, l'assassinat des cadres SA, lors de la Nuit des longs couteaux (29-30 juin 1934), avait été l'occasion de stigmatiser les pratiques homosexuelles de Röhm et de son entourage. Cette persécution des homosexuels trouve surtout son aboutissement avec leur déportation dans les camps de concentration, où près de 20.000 «triangles roses» vont trouver la mort.
Pour justifier le procès spectacle que les autorités allemandes souhaitent à tout prix organiser contre Grynszpan, on demande donc à l'ambassadeur Welczeck de faire une déposition prouvant que c'était lui qui était visé.
Grynzpan se serait attaqué au secrétaire d'ambassade faute de mieux. Mais le comte Welczeck se refuse à toute déclaration sur un projet d'attentat contre sa personne.
Finalement, à l'automne 1942, les préparatifs du procès sont interrompus sans motivation officielle. Quant à Herschel Grynszpan, il semble qu'il ait été exécuté au camp de Sachsenhausen.
La vérité sur l'assassinat de vom Rath aurait pu éclater dès 1938. A l'époque, André Gide déclarait : « On saurait de source certaine que l'attaché d'ambassade von [sic] Rath qui vient d'être assassiné avait les relations les plus intimes avec son petit Juif d'assassin. De quelle nature fut l'assassinat ? Il n'importe. L'idée qu'un représentant du Reich, qui vient d'être glorifié, péchait doublement au regard des lois de son pays, est assez drôle, et les représailles atroces n'en paraissent que plus monstrueuses, plus simplement intéressées, utilitaires. Comment ce scandale n'est-il pas exploité par la presse (*) ? »
(*) Cahiers André Gide, Les Cahiers de la petite dame, 1937-1945, Paris, 1975, p. 122
L’Histoire n°274, Hans-Jürgen Döscher, mars 2003, pages 18-19
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"La Nuit de Cristal" au Mémorial de la Shoah (17 rue Geoffroy-l'Asnier, 75004 Paris)