Annonce classée, Pascal Bonafoux

Une petite annonce, pareille à tant d'autres, et l'existence de quatre êtres est bouleversée. Ils sont deux, puis quatre. Leurs lettres se croisent, se répondent, s'ignorent.

Violentes, tendres, elles sont l'instrument implacable d'une chirurgie du cœur et de l'âme. Scalpels utilisés sans anesthésie, les mots blessent, caressent les douleurs et les joies d'êtres qui tentent maladroitement d'inventer le bonheur et d'exorciser la peur.

Jérôme Imbert, la trentaine, cadre supérieur, Paris. Antoine Marsant, proche de la quarantaine, antiquaire, Zurich. Ils sont amis, intimes. Antoine est cloué sur le lit d'une clinique suisse, le cancer le ronge irrémédiablement. Jérôme est seul, subitement abandonné par sa compagne.

Enfermés chacun dans leur propre douleur, ils couchent sur le papier le vide désespérant de leurs existences en dérive. Antoine tente de réconforter Jérôme qui se complait dans un égoïsme agaçant ; il lui reproche de céder à ces drames irrémédiablement vains, absurdes et imbéciles, en regard de la tragédie de la maladie.

Antoine lui conseille, comme exutoire, de répondre à une petite annonce. Jérôme accepte, pour se venger. Mais quand il rencontre Édith Sarre, sa froide stratégie tombe bientôt en pièces. Une nouvelle vie s'offre à lui, un chemin imprévu, semé d'embûches et d'incompréhension mais, comme il l'écrit à son ami, le parcours est beau qui va de la hargne à l'amour.

Antoine suit, en démiurge impuissant et floué, les péripéties d'une passion qui l'anéantit un peu plus encore. Car, depuis vingt ans, il n'a cessé d'aimer Jérôme, après avoir été l'amant de son frère, Julien, tué en Algérie.

Et de cette douleur lancinante, ces lignes rageuses et désenchantées témoignent :

« Ce qui m'étonne c'est que je puisse te désirer encore en dépit non de ce que tu es, mais de ce que tu n'as pas su devenir et en dépit de ton long refus. Mais il est vrai que je n 'ai pas cessé d'aimer les beaux objets ; en cela est le seul point commun que tu aies avec Julien, tu es irréprochable. »

Le lecteur assiste, impuissant, à ces échanges d'une violence et d'une authenticité souvent insoutenables. Tenté de prendre partie pour l'un ou pour l'autre, il ne peut que souffrir avec tous.

Ceux qui, un jour, ont écrit ou répondu à une Petite Annonce ne pourront que retrouver, admirablement décrits, le cortège de doutes, d'interrogations, de rejets et d'espoirs suscités par ces quelques mots, trop souvent abrégés et qui composent l'ultime recours contre la solitude.

■ Annonce classée, Pascal Bonafoux, éditions Denoël, 1985, ISBN : 2207231542