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Un oiseau brûlé vif, Agustin Gomez-Arcos

Publié le par Jean-Yves Alt

Paula Martin – vierge folle, fétichiste de la féminité outrancière – livre inlassablement une guerre intime contre papa et ses putains. Un oiseau brûlé vif est une métaphore truculente d'une autre guerre, espagnole et civile…

Ce roman craque à toutes les pages d'une surabondance de symboles et d'images. A travers l'Espagne, la défaite des Républicains, la dictature franquiste, la toute neuve poussée socialiste, l'auteur éclaire l'énorme fresque d'une lutte sournoise, celle des nantis et de leurs valets, réduisant à l'esclavage les déshérités et les idéalistes.

La force de ce roman vient qu'il aborde des problèmes politiques et sociologiques à l'intérieur d'un roman picaresque, par le biais de personnages à la fois caricaturaux et réalistes.

Au centre d'un petit monde dégueulasse, Paula Martin se planque côté curés, côté fric, côté cul, côté militaires. Elle tisse sa toile de mort, s'accroche à Dieu pour mieux perpétrer ses crimes sans cadavres, et s'offre de subtiles petites morts avec le rejeton d'une famille pourrie : elle préserve son statut de vieille fille vierge mais se fait enculer à qui mieux mieux !

C'est que Paula Martin a ses faiblesses : elle se désire homme dans son corps de femme. Le phallus de son jeune amant/fiancé/jamais mari, l'intéresse ; elle l'absorbe sans se donner. La sodomie est pardonnée par l'Eglise quand elle vise la défense de la respectabilité. Paula ou l'anus carnivore !

Mais la vulnérabilité de Paula est plus enfouie : à l'étage noble des Trois Palmiers, sa résidence, elle entretient le culte du seul être aimé, sa mère, la céleste Célestina, bafouée par son mari trop baiseur, la femme parmi toutes les femmes, morte dans ses linges ivoires. Des mannequins de cire jouent le drame immobile d'une réhabilitation. Les affreux y sont conviés. On y conspue les fauteurs de troubles qui voudraient croire à l'égalité des hommes. On s'y régale d'atrocités et les orgies sont morales. Paula devient la déesse hebdomadaire d'un cérémonial parapolitique: le charme libidineux de la bourgeoisie. Elle officie jusqu'à la folie finale quand Franco meurt, l'abandonnant, solitaire et hystérique, dans son faux palais de fausse gloire : « Vous rendez-vous compte qu'a moi seule je suis l'Etat, je suis l'armée, je suis l'Eglise, je suis la famille, l'honneur, le devoir, l'audace, la foi, la force… »

Paula Pinzon Martin a ses victimes et d'abord le père abhorré, le brigadier Pinzon, qui aimait trop les femmes et qu'elle a chassé du foyer à la mort de la mère : Qu'il aille se faire foutre par Luciole, l'énorme tenancière de bordel, qu'il l'épouse, qu'il s'anéantisse dans les plaisirs.

Hélas les victimes sont parfois décevantes : Papa convole en justes noces avec la pute reconvertie. Ils quittent le bordel pour militaires. Luciole s'embourgeoise, veille à la bonne moralité d'étudiants puceaux. Le lupanar devient pension de famille et une fille naît, Araceli, belle et punk. Paula devra subir l'existence de cette demi-sœur, incarnation heureuse du péché.

La victime parfaite c'est la Rouge, débris humain, fille des rues qui se donnait aux républicains, pour le plaisir… Muette et chauve, elle hante la maison de Paula qui concentre sur elle toute sa rancœur destructrice. Mais la Rouge renaît de son abjection. A la mort de Franco, elle nargue sa maîtresse. Elle élève et se met à aimer un oiseau bariolé comme elle, un oiseau qui chante la liberté, un oiseau colombe de paix, qui pourrait s'envoler et vaincre d'un coup d'aile le sordide des réjouissances terrestres. Paula tuera en vain l'oiseau de bonheur. La Rouge est là, comme sont toujours prêts, relégués et meurtris, ceux qui croient à la liberté, à l'amour, ceux qui jamais ne perdent parce qu'ils ne possèdent rien.

Un oiseau brûlé vif est le portrait d'une femme, victime aveugle de la société : cette Paula avare et possessive qui pour venger sa mère, s'ampute de la fraternité humaine et se dessèche peu à peu dans son palais minable

■ Un oiseau brûlé vif, Agustin Gomez-Arcos, Editions du seuil, collection Points, 1991, ISBN : 202013120X


Du même auteur : L'aveuglon

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