Le double Je, Mémoires du chevalier d'Eon par Jean-Michel Royer
Elle est femme et femme conformée comme toutes les femmes, bien qu'enconnée un peu bas et un peu à droite certifie après expertise la très respectée et très anglaise Miss Sarah Norton. Il est vrai que la docte sage-femme était octogénaire, quasi aveugle et quelque peu portée sur le Cherry.
« Qu'était ma massue auprès de votre quenouille ? » s'interroge, éperdu d'admiration, le déjà célèbre signor Casanova. Et le Vénitien sait de quoi il parle : lors d'un concours aussi cocasse que licencieux, il dut se mesurer à l'illustre chevalier d'Eon. La règle du jeu était d'honorer, jusqu'aux limites de leurs forces, deux jeunes femmes qui avait obligeamment prêté leur concours à la joute qui opposa les deux fouteurs les plus renommés d'Europe. Le vaincu devait s'offrir au vainqueur, ce que fit de bon cœur le grand Casanova.
Qui était-il/elle donc ce chevalier d'Eon de Beaumont qui fut homme pendant quarante-neuf ans et femme durant les trente-trois années suivantes ?
Ni un transexuel à la recherche de son identité, ni un travelo et pas plus un débauché. Rien de tout cela et tout cela à la fois écrit Jean-Michel Royer, l'auteur de ce Double Je, mémoires vraies-fausses de Charles-Geneviève, chevalier-chevalière d'Eon de Beaumont.
D'abord et avant tout, le chevalier d'Eon est le plus extraordinaire espion de tous les temps, l'un des membres fondateurs du Secret du roi. Tout le mystère de sa vie est là.
Afin de pouvoir en Angleterre mener double jeu, il fut lui même et une autre. Amant de Charlotte, épouse insatisfaite de Georges III roi d'Angleterre, le chevalier se révéla femme pour anéantir les soupçons du souverain. Paradoxalement, le trouble que cause la scandaleuse nouvelle sert ses desseins : les feux de la curiosité illuminent l'ambiguïté de son existence et son immoralité mais jettent autant d'ombre sur ses activités occultes au service de la France.
Le 21 mai 1810 s'éteignait le chevalier d'Eon, celui qui avait su avec tant de grâce allier les plaisirs de la chair à ceux de l'esprit.
Avec lui mourut tout ce que le XVIIIe siècle avait eu de charme libertin, de fêtes galantes et de guerres en dentelles.
■ Le double Je, Mémoires du chevalier d'Eon par Jean-Michel Royer, Editions Grasset, 1986, ISBN : 2246380014
Lire aussi : Le chevalier d'Eon : « God save the queer » par Evelyne Lever