L'homoparentalité racontée aux tout-petits
Jean a deux mamans de Ophélie Texier (1)
Une façon simple et intelligente d'aborder l'homoparentalité.
Un livre explique aux enfants de moins de trois ans qu'on peut vivre avec «deux mamans» «Jean a deux mamans»... Si le titre de ce livre pour les enfants de moins de 3 ans a laissé Laurence interdite, au détour du rayon jeunesse, Camille, sa petite dernière de 5 ans, s'est ruée sur ce petit ouvrage, attirée par ses couleurs chatoyantes et son loup sur la couverture.
L'homoparentalité expliquée aux tout-petits, ça n'a pas fait rire Laurence. Jeune femme active et mère d'une tribu de cinq enfants, elle a bien failli s'étouffer. Il faut dire que le livre ne se trouvait pas dans une librairie mais à la bibliothèque municipale de sa ville de province.
« Je me suis sentie piégée, raconte Laurence. OK en librairie ou bien dans le coin bibliothèque des ados, car, dans ces conditions, chacun a le choix. Mais là, quel choix ai-je ? Quand ma fille veut ce livre parce qu'elle adore les images et que je refuse, qu'est-ce que je lui réponds ? »
Comme bien d'autres parents, Laurence «ne se voit pas» lire cette histoire en bordant ses enfants le soir. «Je ne me sens pas prête, dit-elle. Mais cet épisode m'a embarrassée. Après coup, je me suis interrogée : au fond, suis-je intolérante ?»
L'objet de ce malaise, tout récemment sorti dans la collection «Loulou & Cie» aux éditions L'Ecole des loisirs, fait en réalité partie d'une collection qui veut expliquer aux plus petits les différentes situations de famille de notre société moderne. Une société remodelée par le divorce, les familles recomposées, monoparentales ou encore le deuil, l'adoption, etc. D'où les autres titres de la collection : Lili vient d'un autre pays, Albert vit chez sa grand-mère, Camille a deux familles et autres Barnabé a été adopté. Avec Jean a deux mamans, l'homoparentalité est présentée comme un modèle familial parmi d'autres.
Inaugurant le lancement de toute la série, ce livre voulait aussi augurer «un nouveau ton», aux dires de la maison d'édition, qui innove en parlant de ces nouveaux schémas familiaux à des enfants aussi jeunes.
«C'est une collection qui parle avant tout d'amour, se défend l'auteur, Ophélie Texier. C'est une tentative de première explication aux tout-petits pour qu'ils puissent mieux comprendre les situations face auxquelles ils se retrouvent de plus en plus souvent.» Et de marquer la surprise : «Je ne vois pas ce qu'il y a de choquant ou de tabou ! Les enfants ne sont pas trop petits pour comprendre l'amour.» La lecture des pages cartonnées peut laisser rêveur. «Mes deux mamans s'aiment comme un papa et une maman», peut-on lire. «C'est maman Jeanne qui m'a porté dans son ventre, pendant ce temps-là maman Marie faisait des travaux à la maison»...
S'il s'agit d'avancer en même temps que les transformations de la société, comme l'évoque Ophélie Texier, qui souligne que «le tabou du divorce a bien fini par tomber», dessinera-t-elle, à ce rythme, un prochain Xavier a deux papas qui l'ont adopté ? «Oui, oui, bien sûr !, affirme-t-elle, si mon éditeur est d'accord...»
Le Figaro, Delphine de Mallevoüe, 9 septembre 2005
(1) Ecole des Loisirs, collection Loulou et Cie, novembre 2004, ISBN : 221107457X
Entretien avec Edwige Antier, pédiatre :
« Les bibliothèques n'ont pas à véhiculer des idées marginales. »
« Ce genre d'histoire peut nuire à la construction de l'enfant. »
LE FIGARO. – Que pensez-vous de ces ouvrages destinés aux plus jeunes ?
Edwige ANTIER. – Je trouve que c'est n'importe quoi ! Aujourd'hui, dans notre société, on ne laisse pas les parents être les acteurs de l'éducation de leurs propres enfants ! On le voit avec ce genre de livres mais aussi à travers certains débats ou propos sur Internet, à la télévision, etc. Tout cela veut se substituer au libre arbitre et au choix des parents. C'est pourtant à eux et rien qu'à eux de décider quelles valeurs inculquer à leurs enfants.
Et l'homoparentalité, c'est une valeur ?
Pas une valeur, mais un fait marginal. Elle véhicule donc, dans ce sens, des antivaleurs. Or, les idées marginales doivent être le choix des parents, en aucun cas celui d'une bibliothèque municipale ou d'une mairie. Cela n'est pas du ressort d'une institution publique. Le premier devoir d'une bibliothèque est de respecter le choix des familles. Que ces lieux de culture et d'éveil soient responsables et, surtout, respectons les transmissions intrafamiliales, à la fin !
D'un point de vue psychologique, qu'implique le fait de parler de l'homoparentalité à un jeune enfant ?
De zéro à 6 ans, ce que vous voyez et entendez, vous l'engrangez comme un fait intangible, cela se colle dans la mémoire. Même s'il ne sait pas lire, un enfant capte des messages, lesquels lui paraissent comme un fait acquis. A cet âge-là, la structuration du psychisme est en pleine construction du complexe d'Oedipe. L'enfant est en train de prendre ses repères, il fixe sa place par rapport à son père et sa mère, il construit qui il est. Il est donc une marmite émotionnelle où chaque livre, chaque jeu aide à cette construction. Or, lire ou raconter ce genre d'histoire bouleverse tout et peut nuire à la construction psychique.
Pédiatre, Edwige Antier est diplômée en psychopathologie de l'enfant.
Auteur de nombreux ouvrages, elle vient de publier Dolto en héritage. Tout comprendre, pas tout permettre, collection «Réponses», Robert Laffont/France Inter, 2005
Le Figaro, 9 septembre 2005
Commentaire d'une lectrice (avril 2010) : Je viens de lire le sujet consacré à l'homoparentalité et au livre « Jean à deux mamans ». Le point de vue de cette maman [Laurence] est courant ; comment comprendre un sujet dont on n'est pas partie prenante ? Néanmoins, pourquoi devrait-on se sentir "piégé" ?
Il est certain que les idées changent et que la présence de livres sur la différence dans des lieux comme les bibliothèques fera avancer les choses s'ils sont bien présentés au sein, par exemple, d'une exposition sur la famille ou en regroupant des livres sur la famille.
Mais demander à Edwige Antier de parler d'homoparentalité est une erreur. Elle ne tolère pas l'homosexualité et l'homoparentalité encore moins.
L'homoparentalité ne détruit pas le psychisme en construction des tout-petits parce que dans ce cas là, les élèves des classes dans lesquelles sont passée ou passeront mes enfants sont "détruits".
Si les tout-petits ne sont jamais confrontés à la différence, qu'elle soit d'ordre sexuelle, de couleur, d'origine, familiale, comment se comporteront-ils lorsqu'ils seront confrontés à un enfant noir, à un enfant venant d'un autre pays et ne parlant pas le français, à un enfant handicapé ou bien à un enfant né au sein d'une famille homosexuelle ?
L'homosexualité est une différence dont il ne faut pas faire une déviance.
L'homosexualité ne concerne que les personnes qui vivent ensemble. J'élève mes enfants comme chaque parent le fait et je n'ai jamais demandé à aucun couple hétéro ce qu'il faisait dans sa chambre. Parce que n'est-ce pas ça qui gène le plus ? Ce que nous faisons dans le cadre d'un lieu tout à fait privé et réservé aux deux adultes du couple : notre chambre.
Mes enfants vont bien et si jamais ils doivent être confrontés à une souffrance résultant du fait que leur famille est différente, ce ne sera que le fait des homophobes ou des parents qui n'auront pas pris le temps d'expliquer l'Autre à leurs enfants.
Peut-on encore se voiler la face et nier l'existence de la différence pour que la réalité corresponde à l'image de nos rêves ?
Réponse de l'auteur du blog : En quoi, cette mère de famille, Laurence, a pu se sentir "piégée" ? Si ce n'est, "piégée" par l'auteure (Ophélie Texier) ? Piégée parce qu'elle n’a pas pressenti que cette auteure pouvait aborder dans un album jeunesse la thématique de l'homoparentalité.
On peut interroger la pertinence de faire parler Edwige Antier sur l'homoparentalité. S'il y a un piège dans cette affaire, il est là : non pas de trouver cet album dans les rayons enfants des bibliothèques mais de prendre le discours de Madame Antier comme une expertise.
Edwige Antier lit l'ensemble des événements sociétaux à travers le prisme d'une sociologie et d'une ethnologie d'elle-même. Tout en ne disant pas cette position interne mais en l'universalisant. E. Antier - quand elle répond publiquement - oublie la nécessité d'une rupture épistémologique avec la manière dont elle se pense elle-même spontanément. Sa théorie est totalement incluse dans la culture dominante. C'est en cela qu'elle piège ses lecteurs.