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Baignade interdite, Christophe Renault

Publié le par Jean-Yves Alt

Elèves de troisième, Suzy et Malo sont deux poissons dans l'eau ! Elle est un tourbillon et lui se laisse entraîner, jusqu'à faire quelques vagues en faisant le grand plongeon : il révèle qu'il est le vilain canard :

« Elle se hissa pour s'allonger sur moi. Je compris qu'elle s'employait dans son dos à dégrafer son soutien-gorge. Ce n'était plus tenable. Il me fallait de toute urgence la maîtriser. Je criai :

– Non, attends

Elle m'embrassa rageusement. Je me dégageai pour oser dire :

– Moi, pas très chaud...

Elle s'arrêta, se redressa, fronça les sourcils, fit une grimace coquine et finalement m'interrogea :

– Toi, pas très quoi ?

– Pas très chaud...

Un long silence servit sa réflexion. Elle s'inquiéta :

– Et pourquoi pas très chaud ?

Pouvais-je l'avouer ? Je n'avais, dans ma situation, que deux alternatives : soit je me taisais et continuais de trahir Suzy, soit je parlais et pouvais perdre à jamais la présence de mon indienne. N'avais-je pas déjà assez menti ? Je me lançai :

– Parce que, moi, mettre kiki dans squaw trouver ça bizarre... […] Pas naturel à moi...

Suzy se releva et s'assit sur moi. […]

– Comment ça, pas naturel à toi... ?

Je voulus faire face. Aucun mot ne sortit. J'étais bloqué. Suzy m'aida :

– Tu veux dire que, toi, préférer mettre kiki dans petit guerrier... ?

J'étais stupéfait ! » (pp. 33-34)

Mal foutu dans son cœur, Malo est celui qui n'a pas le droit d'aimer bien et droit, d'aimer la fille qui passe. Non, lui, il faut que ce soit le garçon, avec du muscle sous le pull-over, du sourcil épais et du poil sur les joues...

Ce roman rappelle que, quand l'homophobie est présente, elle empêche les homos de se dire et/ou d'améliorer leurs conditions de vie, car tout acte homophobe a tendance à créer, chez eux, une manière de psychose qui n'aurait aucune raison d'être si tout choix sensuel était accepté.

« Pourquoi étaient-ils tous si méprisants ? Pourquoi fallait-il depuis deux semaines que je subisse à longueur de mots leur bêtise suintante de suffisance ? Qui étaient-ils pour me traiter ainsi ? Qu'avais-je fait pour mériter leur bile et leur connerie ? Depuis la sixième, nous vivions ensemble. On s'appréciait. Sans être amis, on s'estimait : on riait dans la cour, on tapait dans le ballon, on se donnait des copies, on s'échangeait des réponses, on se prêtait nos cahiers... Seulement, voilà, Mehdi avait parlé : "Malo est une tantouze..." Quatre mots... Quatre malheureux mots qui avaient suffi à brûler quatre années de complicité. » (p. 132)

Mehdi, un élève de la classe de Malo et de Suzy est fou amoureux de cette dernière :

« Je t'aime, Suzy ! Je t'aime trop, je t'aime mal, mais je te le promets : je t'aime. Je t'aime à en crever ! Ne me lâche pas, Suzy, ne me lâche pas, sinon c'est moi qui vais lâcher... » (p. 104)

Mehdi, ce beau mâle brun aux yeux bleus, à la virilité ostentatoire, quotidiennement mise en avant, est finalement une idole de bronze aux pieds d'argile.

L'extraordinaire art de la métaphore – qui agrémente cette histoire écrite dans un français parfait, à la syntaxe particulièrement élaborée – transfigure le banal en épopée :

« Suzy n'était pas qu'une élève. Elle s'ajoutait au matériel pédagogique. Sculptée comme elle l'était, elle annonçait le programme. D'un seul regard, on le couvrait tout entier... Eh oui ! Cette Suzy, quelle introduction aux mathématiques ! Sitôt qu'ils voient ses formes, les garçons normalement constitués rêvent de se multiplier. Tous ! Du coup, les problèmes arrivent en nombre : ça crée des divisions dans les groupes et de la géométrie variable dans les slips... Quelle ouverture encore aux sciences ! C'est le genre de physique qui bouleverse ta chimie : tu as le corps qui monte très vite à ébullition. Tu as la pipette tout agitée et des rêves de première expérience dans son tube à essai... Pour peu qu'elle lève, en plus, le voile sur ses deux globes terrestres, tu ne fais aucune histoire à t'initier à la géographie. Et puis, surtout, cette Suzy, quelle approche de la conjugaison ! Toutes les filles rêvent de l'être et les garçons de l'avoir. Ça conjugue l'auxiliaire à tous les temps, du présent au futur, avec toujours le même petit goût d'imparfait : cette Rivière est unique et les amours sont condamnées à rester au conditionnel. » (p. 8)

L'auteur semble être influencé par une approche psychanalytique de l'homosexualité. Si celle-ci n'échappe pas toujours à quelques lieux communs (« Oui, je le savais... Tu es tellement doux... », p. 34), ce roman met pourtant bien en évidence une double et contradictoire exigence : la volonté de secret et la tendance à l'aveu. Faut-il voir, dans le fait que Suzy s'oppose à « l'aveu » de Malo, un privilège ou une crainte de la damnation ?

« Ah non ! Ne t'avise jamais d'aller lui [Medhi] dire ça… Tu m'entends, Malo ? Jamais ! Jure-le… » (p. 73)

Suzy incarne le rêve de vivre en accord avec le plus profond de son être, dans la liberté d'un amour qui dépasse l'individu : elle souhaite vaincre la pesanteur sociale, bannir les limites d'un sexe, d'un corps, d'une éducation.

« Baignade interdite » donne un coup de pied dans la jambe droite de la société. Un roman qui avec le double tranchant des mots, un sens aigu du doute, de l'inachèvement devrait éveiller ses lecteurs à la vie, où chacun aurait une place.

■ Baignade interdite, Christophe Renault, Éditions Petit à Petit, collection Lignes de Vie, octobre 2009, ISBN : 9782849491768


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualité.com

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