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Ces princes, Catherine Guérard (1955)

Publié le par Jean-Yves Alt

Antoine Villaert, ex-polytechnicien de vingt ans (il a démissionné), charmant et paresseux, se trouve un soir, à un dîner, placé à côté d'un Général. « Vous avez l'air candide et sombre. Je vous prenais pour un artiste. » (p. 17), observe le Général. Ce sera les premiers mots d'un dialogue qui conduira Antoine et le Général à la passion la plus absolue.

« Un soir, alors qu'ils marchaient ensemble dans les rues de Montmartre, le Général prenant doucement le bras d'Antoine lui demanda s'il voulait bien être aimé. Antoine ému et défaillant murmura un oui à peine audible, et baissant la tête, pleura silencieusement. » (p. 39)

« Prince : celui qui possède une souveraineté. » Tel est l'épigraphe que l'auteure a placée en tête de son récit et qui en donne la clef ; le général et Antoine sont des princes, parce qu'ils règnent sur un monde d'absolu et de perfection dont la logique fatale les mènera, à la fin, jusqu'à la mort.

L'univers des deux hommes est empli de pureté et en même temps de peurs, qui brûlent les ailes, qui alimentent les angoisses… Se trace peu à peu le chemin qui conduit à la catastrophe finale.

Les portraits, que Catherine Guérard fait des deux hommes, ne cachent pas les défaillances humaines : le Général vieillissant perd toute force de caractère devant le jeune homme dont il est amoureux tandis qu'Antoine fuit sans cesse ses responsabilités.

« Il [Antoine] avait peur : une peur extrême de la souffrance que peut endurer une âme qui cesse d'être aimée. Il craignait les tristes lendemains du bonheur et préférait ne pas monter trop haut afin de ne pas choir trop douloureusement. » (p. 39)

La relation entre les deux hommes est fort bien étudiée : de l'étonnement à la flamme assumée en passant par la découverte, le combat contre soi-même et l'acceptation. S'ajoute la tendresse, puis les craintes de l'amour, enfin l'effroi de la guerre ; le tout formant un scénario poignant, non pas en « vérités » (les situations manquent parfois de vraisemblance) mais en « émotions ».

« C'est à la suite de ce dîner qu'il se rendit compte que la simple amitié du Général ne lui suffisait plus et qu'il désirait maintenant ses caresses avec une ardeur égale à la violence avec laquelle il les avait refusées. Cette découverte le rendit malheureux, et il fut troublé de ne pouvoir nommer le sentiment qu'il éprouvait pour le Général. Une chose pourtant lui demeurait certaine, c'est qu'il n'en était point amoureux. Du moins se le répétait-il avec un sentiment du devoir prononcé. Si prononcé qu'il finit par s'en alarmer et par reconnaître que son âme acceptait ce que son esprit refusait d'admettre. L'idée qu'il pût s'adonner à de telles amours l'emplissait cependant de dégoût et le révoltait. Il n'avait jamais pensé être un adepte des amitiés particulières et la constatation de tels sentiments de sa part envers un homme le confondit. » (p. 36)

« Le Général continua : — Vois-tu, c'est ce qui rend notre amour plus beau que l'autre, plus pur, peut-être. Nous n'avons, nous, lorsque nous nous aimons entre nous, aucun espoir de récompense, aucun sentiment de vertu. C'est un amour désintéressé. On sait qu'on n'y perd rien, et qu'il n'y a rien à y gagner. C'est l'amour pour l'amour. Il n'est soumis à aucune loi, à aucune règle. Tandis qu'une femme qui fait l'amour illégalement avec un homme a toujours des tas d'idées derrière la tête qui lui gâchent le plaisir et ses aptitudes amoureuses : l'ennui d'avoir cédé, le regret de sa vertu perdue, l'espoir de se faire épouser, l'espoir que son amant va divorcer pour elle s'il est marié, la crainte qu'il ne divorce pas, la peur obsédante de devenir enceinte. Tous ces calculs, toutes ces craintes, attristent les plaisirs de l'amour. C'est pour cette raison que le plus bel amour, le plus noble amour, est celui qui existe entre, un Général et un ex-petit X. » (pp. 75/76)

« Ces Princes » est un magnifique petit récit sur le difficile épanouissement des êtres.

■ Ces princes, Catherine Guérard (1955), Éditions La Table Ronde, 1955, puis Gallimard, 1968

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